La Divine Comédie

Bartolomeo di Fruosino (et atelier), « Dante assis à sa table, entouré des arts libéraux » Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Italien 74 [1]Voir : Bartolomeo di Fruosino (et atelier), Dante assis à sa table, entouré des arts libéraux.

Le titre original du poème dantesque est Commedia. En nommant l’œuvre de sa vie Comédie, Dante fait référence à un sens précis du terme qui désigne un récit comportant une fin heureuse [2]Bien qu’elle raconte un voyage physique, La Divine Comédie est aussi une allégorie de la progression de l’âme à travers le péché (l’enfer), la pénitence (le purgatoire) et la rédemption (le paradis), la dernière étant la fin heureuse promise dans le titre.. C’est Boccace qui qualifie celle-ci de divine dans un commentaire, le Trattatello in laude di Dante (Petit Traité à la louange de Dante), écrit entre 1357 et 1362. L’épithète est définitivement consacré par Lodovico Dolce [3]Lodovico Dolce (Venise, 1508 ou 1510 – 1568) : écrivain et grammairien. au XVIe s., à l’occasion de l’édition de Gabriele Giolitti parue en 1555 à Ferrare sous le titre Divina Commedia [4]Par le mot Comédie, le poète désignait, suivant l’usage de son temps, une œuvre écrite en langue vulgaire moderne, par opposition à Tragédie, qualifiant une œuvre de l’Antiquité, écrite dans une langue, le plus souvent grecque ou latine, considérée davantage savante et noble. De plus, la conclusion de son poème étant heureuse, justifiait aussi l’appellation de … Poursuivre.

Domenico di Michelino, « Dante con in mano la Divina Commedia » [5]Voir Domenico di Michelino, Dante con in mano la Divina Commedia.

Le poème est composé de trois cantiques. Chacun d’eux correspond à l’un des trois règnes de l’au-delà tel que celui-ci est envisagé et décrit dans sa version médiévale. Les cantiques sont formés de trente-trois chants, à l’exception de l’Enfer qui comporte un chant préliminaire. Chaque chant constitue à son tour la plus petite entité du long poème articulé sous la forme de tercets d’hendécasyllabes [6]L’hendécasyllabe (du gr. éndeka : onze) est généralement un vers composé de onze syllabes. C’est le vers le plus important et le plus utilisé de toute la poésie lyrique italienne, depuis ses origines, avec Dante Alighieri et Francesco Petrarca, jusqu’au seuil de la versification libre du XXe siècle. Les deux premiers vers du chant d’ouverture de la Comédie (voir note … Poursuivre aux rimes enchaînées (ABA BCB CDC…).

À travers l’ensemble des Chants du poème envisagés comme autant d’étapes d’un itinéraire, le chef-d’œuvre de Dante raconte le voyage imaginaire et les visions du narrateur dans le monde de l’au-delà [7]Le narrateur n’est autre que l’auteur lui-même.. Brusquement plongé dans une forêt sombre, le poète fait la rencontre de Virgile. Ce dernier l’invite à pénétrer avec lui dans le monde de l’au-delà. Dante le suit. Toute la durée de la semaine sainte de l’année 1300 sera nécessaire aux deux poètes pour effectuer la totalité de leur étonnant voyage. Guidé par Virgile, Dante descend d’abord à travers les neuf cercles de l’Enfer, gravit ensuite les sept gradins (ou corniches) de la montagne du Purgatoire jusqu’au Paradis terrestre et, enfin, s’élève dans les neuf sphères célestes concentriques du Paradis. Virgile le précède jusqu’à la porte du Paradis, mais ne peut aller plus loin car, né avant la venue du Christ, il n’a pu bénéficier du sacrifice du messie faute d‘avoir reçu le sacrement du baptême. C’est donc Béatrice Portinari, sa muse, qui prend le relais pour guider Dante dans l’Empyrée. Elle lui ouvre la porte du salut, puis il revient à Bernard de Clairvaux de conduire le narrateur dans la Rose céleste [8]La Rose blanche des bienheureux est la vision qui s’offre à Dante au début du chant XXXI du Paradis : In forma dunque di candida rosami si mostrava la milizia santache nel sangue Cristo fece sposa. « En forme donc de rose blanche M’apparaissait la sainte miliceQue le Christ épousa dans son sang. » Dante ALIGHIERI, La divine comédie (éd. sous la … Poursuivre, jusqu’à la vision suprême.

Structure de l’au-delà dans la Divine Comédie
1. « Figure de l’univers dans la Divine Comédie », chromolithographie, d’après, Michelangelo CAETANI, « La materia della Divina commedia di Dante Alighieri dichiarata in VI tavole da Michelangelo Caetani », Montecassino, Monaci benedettini di Montecassino, 1855 (nuova edizione a cura di G. L. Passerini, Florence, G. C. Sansoni, 1914.

Dans l’univers décrit par Dante (fig. 1), l’ordre des planètes est celui établi par Ptolémée [9]Voir : Imago Mundi.. La Terre demeure immobile au centre. Les neuf ciels [10]Le nom commun ciel a l’étrange particularité d’avoir deux pluriels différents. « Le ciel, à proprement parler, est cette partie de la voûte azurée que nous voyons ou que nous concevons comme renfermée dans un horizon déterminé. C’est dans ce sens qu’on dit : Le ciel de la Provence et celui de l’Italie sont bien différents des ciels de l’Angleterre et de … Poursuivre sont concentriques, corporels et mobiles autour de la Terre, et plus ils sont rapides, plus ils s’en éloignent. Les planètes tournent dans l’épicycle [11]Dans l’astronomie médiévale, l’épicycle définit un cercle dont le centre se déplace lui-même à vitesse uniforme sur un second cercle en mouvement, le déférent. Le centre du déférent peut être la Terre elle-même (déférent homocentrique), un point excentré fixe vis-à-vis de la terre (excentrique), ou un point lui-même mobile à vitesse uniforme sur un cercle. de leur propre ciel mais le Soleil ainsi que les huit autres planètes qui définissent les neuf ciels tournent autour de la Terre. L’Empyrée, qui est un ciel de pure lumière incorporelle et immobile, et « n’a qu’amour et lumière pour confins [12](« […] che solo amore e luce ha per confine » (Paradis, XXVIII, 54). », comprend les neuf ciels supérieurs. C’est en lui que réside la divinité, « cet empereur » qui « en tous lieux gouverne et là règne [13]« In tutte le parti impera e quivi regge » (Enfer, I, 127). », et que se trouve aussi la demeure des bienheureux. La Terre, qui est recouverte d’eau sur la moitié de sa surface, définissant ainsi deux hémisphères distinctes, est habitée par les hommes. Jérusalem se trouve au milieu de l’hémisphère habité. Au centre de la Terre se trouve l’Enfer, demeure perpétuelle de Lucifer depuis qu’il a été précipité par la milice céleste du haut de l’Empyrée. Au moment de la chute de Lucifer, la terre « effrayée par lui, se cacha sous la mer » [14]« […] per paura di lui fé del mar velo (Enfer, XXXIV, 125. ». L’ange déchu resta fermement accroché au centre de la Terre « où de tous côtés tendent les corps pesants » [15]« […] al qual si traggon da ogni parte i pesi » (Enfer, XXXIV, 111).. Cette chute ouvrit l’abîme infernal, car la Terre, « pour fuir [Lucifer] laissa ce vide » [16][…] per fuggir lui, lasciò qui il luogo vuoto » (Enfer, XXXIV, 125). et émergea au milieu des eaux pour former l’îlot montagneux du Purgatoire, de sorte que Jérusalem et cette montagne n’ont qu’un seul horizon en dépit de leur situation sur deux hémisphères différents [17]Au cours d’une halte sur une corniche du Purgatoire, Virgile explique à Dante le phénomène solaire qui est cause de l’étonnement de celui-ci : Come ciò sa, se ‘l vuoi pensare, dentro raccolto, imagina Sïon con questo monte in su la terra stare si, ch’amendue hanno un solo orizzón e diversi emisperi […]. » « Si tu veux comprendre ce qu’il en est,  … Poursuivre :

Da questa parte cadde giù dal cielo ;
e la terra, che pria di qua si sporse,
per paura di lui fé del mar velo,
e venne a l’emisperio nostro ; e forse
per fuggir lui lasciò qui loco vòto
quella ch’appar di qua, e sù ricorse
.

« C’est de ce côté qu’il tomba du ciel [18]Il s’agit de Lucifer, l’ange déchu.
et la terre qui, jadis s’étendait par ici,
effrayée par lui, se cacha sous la mer,
et s’en vint dans notre hémisphère ;
c’est pour le fuir, peut-être, que laissa ce vide
celle [19]La montagne du Purgatoire apparue sur l’hémisphère opposé, cernée par les eaux. qui apparaît ici, où elle émergea. [20]Enfer, XXXIV, vv. 121-126. »

Le Purgatoire s’élève par paliers, ou corniches, qui entourent la montagne et vont se rétrécissant jusqu’au sommet où se trouve la Forêt du Paradis terrestre. Le ciel calme de l’Empyrée, enfin, est l’endroit où les élus siègent sur des feuilles de roses blanches, et jouissent de la vision béatifique de Dieu, lui-même entouré des neuf ordres de la Hiérarchie angélique.

cartes de l’univers

Depuis le Moyen Âge, la profusion des détails que l’on trouve dans le texte de Dante, tout comme leur précision, ont conduit un certain nombre d’érudits, d’intellectuels et d’artistes à tenter de donner une forme concrète, et donc visible, aux mentions de nature cosmographique que l’on trouve dans l’œuvre. « Au XVe siècle, l’architecte et mathématicien florentin Antonio Manetti a imaginé que l’on pouvait rassembler les informations présentées dans [L’Enfer] et en extrapoler pour cartographier avec précision la taille, la forme et l’emplacement de l’Enfer de Dante », écrit Ricardo Padron [21]Ricardo Padron, Mapping Imaginary Worlds. Maps: Finding Our Place in the World, James Akerman and Robert Karrow (éd.), Chicago & London, University of Chicago Press, 2007, p. 261. L’ouvrage recense un grand nombre de cartes illustrant la cosmographie de Dante, publiées dans divers formats sur plus de 350 ans..

Les cartes originales de l’Enfer d’Antonio Manetti gravées sur bois ont été publiées pour la première fois en 1506. Trois siècles et demi plus tard, la vision de Manetti prend une nouvelle forme entre les mains de Michel-Ange Caetani (Rome, 1804 – 1882), duc de Sermoneta, personnalité politique et érudit passionné de Dante. Son ouvrage [22]La Materia della Divina Commedia di Dante Alighieri Dichiarata in VI Tavole [La substance de la divine comédie de Dante Alighieri décrite en six planches]., publié à Rome en 1855, comprend six cartes de l’Enfer, du Purgatoire, du Paradis lithographiées et coloriées à la main, ainsi qu’un aperçu cosmographique complet grâce auxquelles il apparaît plus aisé d’envisager les formes dont sont faits les trois mondes de l’au-delà traversés par Dante lors de son périple, que les commentateurs situent l’an 1300. Les trois mondes décrits dans le récit de la Divine Comédie constituent les trois cantiques du poème :

  • L’Enfer, écrit entre 1304 et 1307 au plus tôt (fig. 2).
  • Le Purgatoire, écrit entre 1308 et 1313 ou 1314 (fig. 3).
  • Le Paradis, 1316-1321 (fig. 4).
2. « Vue intérieure de l’enfer », chromolithographie [23]Giuseppe Lando PASSERINI (éd.), La materia della Divina Commedia di Dante Alighieri dichiarata in VI Tavole da Michelangelo Caetani di Sermoneta, Florence, G.C. Sansoni Editore, 1914..
3. « Ordonnancement du purgatoire », chromolithographie [24]Michelangelo Caetani, op. cit..
4. « Ordonnancement du paradis », chromolithographie [25]Ibid..

Notes

Notes
1 Voir : Bartolomeo di Fruosino (et atelier), Dante assis à sa table, entouré des arts libéraux.
2 Bien qu’elle raconte un voyage physique, La Divine Comédie est aussi une allégorie de la progression de l’âme à travers le péché (l’enfer), la pénitence (le purgatoire) et la rédemption (le paradis), la dernière étant la fin heureuse promise dans le titre.
3 Lodovico Dolce (Venise, 1508 ou 1510 – 1568) : écrivain et grammairien.
4 Par le mot Comédie, le poète désignait, suivant l’usage de son temps, une œuvre écrite en langue vulgaire moderne, par opposition à Tragédie, qualifiant une œuvre de l’Antiquité, écrite dans une langue, le plus souvent grecque ou latine, considérée davantage savante et noble. De plus, la conclusion de son poème étant heureuse, justifiait aussi l’appellation de Comédie par opposition à celle qui se termine par un drame. Ainsi quand il parle de l’Enéide (Enfer, XX, 113), il l’appelle Tragédie.
5 Voir Domenico di Michelino, Dante con in mano la Divina Commedia.
6 L’hendécasyllabe (du gr. éndeka : onze) est généralement un vers composé de onze syllabes. C’est le vers le plus important et le plus utilisé de toute la poésie lyrique italienne, depuis ses origines, avec Dante Alighieri et Francesco Petrarca, jusqu’au seuil de la versification libre du XXe siècle. Les deux premiers vers du chant d’ouverture de la Comédie (voir note 6) sont précisément, la première, une hendécasyllabe majeure (accent tonique sur la sixième syllabe) et la seconde, une mineure (accent tonique sur la quatrième syllabe) :

Nel | mez|zo | del | cam|mìn | di | nos|tra | vi|ta
mi | ri|tro|vái | per | u|na | sel|va os||ra

Dans la langue italienne, le dernier accent tonique de l’hendécasyllabe tombe nécessairement sur la dixième syllabe.

7 Le narrateur n’est autre que l’auteur lui-même.
8 La Rose blanche des bienheureux est la vision qui s’offre à Dante au début du chant XXXI du Paradis :

In forma dunque di candida rosa
mi si mostrava la milizia santa
che nel sangue Cristo fece sposa.

« En forme donc de rose blanche 
M’apparaissait la sainte milice
Que le Christ épousa dans son sang. »

Dante ALIGHIERI, La divine comédie (éd. sous la direction de Carlo Ossola, traduction de Jacqueline Risset). Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2021, Paradis, XXXII, v. 85-87.

Dante est parvenu au ciel le plus haut, l’Empyrée, et découvre une nouvelle représentation de la cour céleste. Les bienheureux (« la sainte milice ») ne sont plus séparés dans différents ciels, mais tous réunis. Leur assemblée prend la forme d’une rose sur les pétales de laquelle siègent les bienheureux, comme sur des gradins.

9 Voir : Imago Mundi.
10 Le nom commun ciel a l’étrange particularité d’avoir deux pluriels différents. « Le ciel, à proprement parler, est cette partie de la voûte azurée que nous voyons ou que nous concevons comme renfermée dans un horizon déterminé. C’est dans ce sens qu’on dit : Le ciel de la Provence et celui de l’Italie sont bien différents des ciels de l’Angleterre et de l’Écosse ; ce peintre réussit admirablement dans les ciels. Les ciels de lit tirent leur nom de leur forme et de leur position au-dessus de nos têtes ; et ces exemples nous montrent que, quand on compte les ciels, c’est-à-dire quand on passe au pluriel entendu dans la rigueur de la définition, on le forme régulièrement en ajoutant un au singulier. Le mot cieux, au contraire, indique non la pluralité, mais l’universalité indivise de la sphère céleste, ou, au figuré, la Providence, le pouvoir céleste. » Bernard Jullien, « Remarque », dans Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (*).

(*) Bernard Jullien (1798-1881) fut l’assistant d’Émile Littré pour les questions grammaticales de son Dictionnaire.

11 Dans l’astronomie médiévale, l’épicycle définit un cercle dont le centre se déplace lui-même à vitesse uniforme sur un second cercle en mouvement, le déférent. Le centre du déférent peut être la Terre elle-même (déférent homocentrique), un point excentré fixe vis-à-vis de la terre (excentrique), ou un point lui-même mobile à vitesse uniforme sur un cercle.
12 (« […] che solo amore e luce ha per confine » (Paradis, XXVIII, 54).
13 « In tutte le parti impera e quivi regge » (Enfer, I, 127).
14 « […] per paura di lui fé del mar velo (Enfer, XXXIV, 125.
15 « […] al qual si traggon da ogni parte i pesi » (Enfer, XXXIV, 111).
16 […] per fuggir lui, lasciò qui il luogo vuoto » (Enfer, XXXIV, 125).
17 Au cours d’une halte sur une corniche du Purgatoire, Virgile explique à Dante le phénomène solaire qui est cause de l’étonnement de celui-ci :

Come ciò sa, se ‘l vuoi pensare,
dentro raccolto, imagina Sïon
con questo monte in su la terra stare
si, ch’amendue hanno un solo orizzón
e diversi emisperi […]. »

« Si tu veux comprendre ce qu’il en est,
recueille-toi, imagine que Sion
et cette montagne-ci soient sur la terre
de façon qu’elles aient un seul horizon
et divers hémisphères […]. »

Purgatoire, IV, 70-71

18 Il s’agit de Lucifer, l’ange déchu.
19 La montagne du Purgatoire apparue sur l’hémisphère opposé, cernée par les eaux.
20 Enfer, XXXIV, vv. 121-126.
21 Ricardo Padron, Mapping Imaginary Worlds. Maps: Finding Our Place in the World, James Akerman and Robert Karrow (éd.), Chicago & London, University of Chicago Press, 2007, p. 261. L’ouvrage recense un grand nombre de cartes illustrant la cosmographie de Dante, publiées dans divers formats sur plus de 350 ans.
22 La Materia della Divina Commedia di Dante Alighieri Dichiarata in VI Tavole [La substance de la divine comédie de Dante Alighieri décrite en six planches].
23 Giuseppe Lando PASSERINI (éd.), La materia della Divina Commedia di Dante Alighieri dichiarata in VI Tavole da Michelangelo Caetani di Sermoneta, Florence, G.C. Sansoni Editore, 1914.
24 Michelangelo Caetani, op. cit.
25 Ibid.

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