Lorenzo di Pietro, detto ‘Il Vecchietta’, « Arliquiera »

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Lorenzo di Pietro, dit ‘Il Vecchietta’ (Castiglione d’Orcia, 1410 ? – 1480)

Arliquiera (Vantaux d’une armoire-reliquaire), vers 1446.

Tempera et or sur panneaux, 273 x 187 cm. (volets fermés)

Inscriptions : voir dans chacun des panneaux dont la liste figure ci-dessous.

Provenance : Ospedale di Santa Maria della Scala, Sienne.

Sienne, Complesso Museale di Santa Maria della Scala, Vecchia Sagrestia.

La face externe

La face externe des vantaux de l’Arliquiera [1]Une arliquiera (de arliquia, déformation populaire du mot reliquia [relique]) est une armoire destinée à contenir des reliques. comporte dix-huit panneaux séparés par des encadrement peints qui simulent une marqueterie. La couleur rose de celle-ci occasionne de délicieuses stridences chromatiques avec les tons orangés et acidulés présents dans les différents compartiments.

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Dans la partie supérieure, en forme de lunette (fig. 1), sont représentés, de la gauche vers la droite :

Nous avons eu l’occasion de rencontrer, dans plusieurs polyptyques, un agencement des scènes tel qu’il permet de placer la scène de la Crucifixion entre les deux protagonistes de l’Annonciation qui occupent, chacun d’eux, un compartiment séparé. Nous connaissons la signification très particulière d’une telle organisation : c’est dans l’intervalle qui sépare, comme souvent dans les retables, les deux interlocuteurs de l’Annonciation, dans l’espace même de cette séparation, l’espace où s’échangent les paroles, qu’il nous faut voir. Ce qui nous est alors donné à voir, c’est le sujet même du dialogue entre entre l’Ange et la Vierge, ou plutôt, sa conséquence inévitable. Les deux personnages que nous voyons en train d’échanger des paroles savent que ces paroles mêmes sont à l’origine, à la fois la cause et la conséquence d’un événement dont la portée les dépasse bien qu’ils en soient les seuls acteurs visibles. Ils savent tout et connaissent – comme, du reste, le spectateur qui assiste à la scène (!) – la destinée de l’Enfant dont l’Incarnation est la résultante miraculeuse de leur colloque. Il n’est donc pas surprenant, dans ces conditions, que l’intervalle spatial au sein de l’œuvre évoque une destinée, et plus particulièrement la Passion que cet Enfant à naître sera nécessairement appelé à endurer pour la rédemption du genre humain. Et au-delà de la Passion, sa Résurrection, comme nous l’observons ici.

Au dessous de la lunette, qui constitue l’une des parties fixes du meuble-reliquaire, deux portes, comportant chacune quatre panneaux, permettaient d’accéder à l’intérieur de l’armoire où étaient rangés les précieux vases contenant les reliques vénérées à l‘Ospedale. Ces portes étaient fixées sur des montants eux-mêmes scellés dans le mur. C’est d’ailleurs pour séparer les montants de la maçonnerie qui les soutenait que les panneaux latéraux ont dû être amputés d’une partie de leur surface. Au total, au centre de la façade antérieure, se trouvent donc douze panneaux (huit pour les deux portes, et quatre pour les montants) permettant de représenter douze figures de saints.

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Ces douze figures sont si belles et d’une qualité telle que tous les critiques sont tombés d’accord pour considérer que la main qui les a peintes n’est pas celle qui a réalisé les huit scènes de la Passion peintes au verso des portes. Tandis que ces huit scènes de la Passion sont dues à l’atelier, c’est Vecchietta seul qui a peint les figures de la façade. Chacune d’elles se tient “debout contre un fond doré et ornementé qui évoque une tapisserie. […] Excepté Catherine, aucune n’est simplement placée de profil ou frontalement. Grâce à léger pivotement motivé par un geste, elles se détachent du fond d’or. Un ample et simple contour leur confère une tranquille monumentalité. L’effet spatial, qui est déterminé par la forme de la silhouette, rappelle Ambrogio Lorenzetti, dont le dessin dans l’espace des figures a été défini […] comme un modelage par surfaces. Dans l’œuvre de Vecchietta, la lumière devient également une qualité du modelage [2]H. W. van Os, Vecchietta and the Sacristy of the Siena Hospital Church. A study in Renaissance Religious Symbolism. Kunsthistorische Studiën van het Nederland Instituut te Rome, 1976, p. 28.”.

Les douze figures de la façade de l’arliquiera représentent, de gauche à droite et du bas vers le haut :

Au centre des volets figurent quatre petits blasons parmi lesquels :

  • la Balzana (blason de Sienne)
  • le lion rampant sur champ rouge (le peuple de Sienne)
  • une échelle (l’Hôpital)
  • un blason qui pourrait être celui de Urbano di Pietro del Bello, recteur de l’Hôpital

Évoquant le “cortège professionnel” peint sur les portes de bois qui permettaient d’enfermer la précieuse collection de reliques de l’Ospedale, Alessandra Bartolomei Romagnoli avance quelques éléments de réflexion qui lui sont suggérés par “la position des personnages peints sur l’arliquiera, en particulier le rôle p^ééminent assigné aux nouveaux saints, qui relègue dans un registre marginal les anciens patrons : saint Ansano ‘le Baptiseur’, saint Savino, saint Victor, le bienheureux Sorore, le noble chevalier Galgano et saint Crescenzio. Le ‘peintre de l’Hôpital’ [Lorenzo Vecchietta] met singulièrement en évidence les deniers arrivés, Catherine et Bernardin, tous deux candidats à une canonisation imminente. Mais à leurs côtés, défilent de manière ordonnée tous les saints éponymes de la dévotion civique. Est également à noter la dimension des personnages portraiturés, le double des figures sacrées représentées sur la cimaise, mais encore la présence des symboles municipaux qui encadrent les compartiments (la balzana noire et blanche de Sienne, le lion rampant du Peuple, l’échelle de l’Hôpital et, enfin, le blason du commanditaire Urbano di Pietro del Bello, recteur de l’Hôpital, comme pour souligner la parfaite identification de la beata civitas avec les personnages placés au fondement de la dignité cultuelle siennoise [3]Alessandra Bartolomei Romagnoli, “Pier Pettinaio e i modelli di santità degli ordini mendicanti a Siena tra Duecdento e Trecento”, Hagiographica, 21, 2014, pp. 113-114.”.

La face interne

Si la face avant des portes de l’armoire-reliquaire est intégralement sortie de la main du maître de l’atelier (Vecchietta), il n’en va pas de même de la face postérieure, cachée au regards lorsque l’armoire était fermée : ici, les épisodes de la Passion du Christ semblent avoir été largement réalisés par les aides de l’atelier. La recherche d’un espace dans lequel faire évoluer les figures paraît être la grande préoccupation. Pourtant, un observateur attentif remarquera assez rapidement que le résultat obtenu ne correspond pas pleinement au but désiré. L’aspect gracile des architectures feintes, composées d’éléments linéaires et décoratifs qui semblent être une fin en soi, s’ils ne sont pas dénués d’un charme véritable, ne permettent toutefois pas de construire un espace où vivent, donnent des ordres, trahissent et souffrent les protagonistes des différentes scènes, lesquelles semblent se résoudre et se cristalliser dans la préciosité des coloris et dans la description des détails d’une extraordinaire minutie. Pourtant, à y bien regarder, “ce sera toujours ce profond sens mystique de l’art siennois de tous les temps qui magnifiera au niveau poétique ces huit scènes, justement pour cette candeur descriptive, pour la préciosité chromatique, et aussi, peut-être, pour cette fameuse fragilité des architectures peintes.”

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La face interne comporte huit panneaux correspondants aux deux vantaux de l’armoire-reliquaire qui devaient pouvoir être vus ouverts. Ces huit panneaux, pour respecter l’ordre correspondant à la chronologie des événements de la Passion du Christ, doivent être observés de gauche à droite, en commençant par la vantail de gauche. Ces panneaux représentent :

Cette précieuse œuvre d’art, connue sous le nom d’Arliquiera del Vecchietta (littéralement, l’armoire-reliquaire de Vecchietta) venait fermer un renfoncement creusé dans le mur afin de constituer une sorte de meuble où étaient rangées les reliques de l’Ospedale. Selon toutes vraisemblances, ce meuble se trouvait dans l’ancienne sacristie, c’est à dire dans le lieu même où il est aujourd’hui exposé. Un tel ouvrage n’est pas sans précédent à Sienne. Il en existe au moins deux, réalisés en 1412 par Benedetto di Bindo, que l’on peut voir aujourd’hui au Musée de l’Opera del Duomo (Sala Madonna dagli Occhi Grossi), et il est probable que Vecchietta les ait attentivement observés avant de réaliser sa propre version de ce type de meuble.

On a toujours considéré que l’armoire contenait des reliques auxquelles les images peintes sur les portes faisaient référence. C’est ainsi que la Crucifixion, la Résurrection et, plus généralement, les huit scènes de la Passion font évidemment référence à la plus importante relique conservée ici, un fragment de la Croix, tandis que l’Annonciation a probablement été exécutée par référence aux reliques de la Vierge contenues dans l’armoire (parmi celles-ci, on trouvait des fragments du voile qu’elle aurait porté …). Mais, comme cela a pu être observé, à part le corps du bienheureux Soror [4]Voir la description du panneau qui lui est consacré. (Le nom “Soror” …)., les listes exactes des reliques de l’Ospedale ne mentionnent, étrange inventaire, qu’un seul (!) doigt du Bienheureux Sansedoni, un doigt et une vertèbre du bienheureux Agostino Novello, et peut-être même les reliques de ces deux saints ne sont-elles parvenues ici que tardivement. Les images des saints et des bienheureux, peintes par le Vecchietta, sont davantage à considérer comme substituts à de véritables reliques qui, quant à elles, seraient absentes de ce lieu.

A la date de son achèvement, vraisemblablement en 1446 si l’on se réfère aux paiements reçus par le peintre (ceux-ci figurent encore dans les archives de l’Ospedale), Vecchietta a un peu moins de 45 ans. Autant dire qu’il est au début de l’époque de sa pleine maturité artistique. L’expérience florentine qu’il a acquise auprès de Masolino, en particulier sur le chantier de la Collegiata de Castiglione Olona en 1437-1438, est désormais lointaine. Pourtant, Vecchietta n’a rien oublié de la grâce particulière des figures de son maître. On retrouve cette même grâce, en particulier, dans les deux personnages de l’Annonciation (la sublime figure souriante de Gabriel dont la révérence est si basse – il faut pourtant bien faire entrer le personnage à l’intérieur de l’espace disponible …), dans le saint Galgano ainsi que dans les quatre saints protecteurs de Sienne, qui rivalisent de délicatesse et de poésie. “La couleur se fait plus transparente avec de très ténus passages du clair à l’obscur tandis que la ligne gothicisante et souple revient cerner les figures qui se détachent en surface, sur le fond doré. Si des éléments propre à la manière florentine affleurent ici et là et semblent gagner la partie chez l’Ange et chez la Vierge de l’Annonciation, c’est pourtant encore Sienne qui prédomine avec le retour à des éléments de décor fascinants et insistants, typiques du Trecento, le mysticisme silencieux qui émane de chaque figure isolée, l’aplatissement de telle d’entre elles qui se détache à peine du fond d’or malgré l’évocation en perspective du pavement – sur lequel les pieds des saints semblent à peine s’appuyer – et jusque dans la figure exsangue de Catherine Benincasa où la musicalité de la ligne gothique de Simone Martini revient insistante, très claire, après plus d’un siècle à attiser les humeurs gothiques toujours latentes du Trecento [5]TORRITI 1977, pp. 353-354.”.

Notes

Notes
1 Une arliquiera (de arliquia, déformation populaire du mot reliquia [relique]) est une armoire destinée à contenir des reliques.
2 H. W. van Os, Vecchietta and the Sacristy of the Siena Hospital Church. A study in Renaissance Religious Symbolism. Kunsthistorische Studiën van het Nederland Instituut te Rome, 1976, p. 28.
3 Alessandra Bartolomei Romagnoli, “Pier Pettinaio e i modelli di santità degli ordini mendicanti a Siena tra Duecdento e Trecento”, Hagiographica, 21, 2014, pp. 113-114.
4 Voir la description du panneau qui lui est consacré. (Le nom “Soror” …).
5 TORRITI 1977, pp. 353-354.