Domenico Beccafumi, « Madonna con Bambino e San Giovannino »

Domenico di Giacomo di Pace, ditMecarinoou Domenico Beccafumi (Sovicille, v. 1484 ca. – Sienne, 1551)

Madonna con Bambino e San Giovannino (Vierge à l’Enfant et saint Jean enfant), v. 1508-1510.

Huile sur panneau, 72 x 58 cm.

Inscriptions :

  • (sur le cadre) : « MOSTRA TE ESSE MATREM / SUMATD (sic) PER TE PRECES / QUY PRO NOBYS NATUS / TULIT ESSE TUUS » [1]« Monstra te esse matrem, / Sumat per te precem / Qui pro nobis natus / Tulit esse tuus » (« Tu es Mère, montre-le nous ! / Que celui qui pour nous est né / en acceptant d’être ton Fils / accueille par toi nos prières »). Extrait de l’hymne marial Ave Maris Stella. D’abord diffusée d’abord dans les monastères au Moyen Âge, l’hymne est devenue … Poursuivre

Provenance : Cortone, coll. Passerine ; Turin, coll. Cisterna ; 1974, vente aux enchères Sotheby, Florence (lot 74, attribution à l’« École siennoise du XVIe s. » [2]Avec cependant des références ponctuelles à Pacchia et à Beccafumi. ; 1974, coll. Giorgio Giusti ; 2022, ses héritiers proposent l’acquisition du tableau par l’État, qui l’accepte.

Sienne, Pinacoteca Nazionale.

Le panneau, entré officiellement à la Pinacothèque nationale de Sienne le 23 février 2023, a fait l’objet de conjectures nombreuses quant à son attribution. Après avoir été identifié dès 1856 comme un œuvre de Beccafumi par Charles Eastlake [3]Charles Lock Eastlake (Plymouth, 1793 – Pise, 1864) : peintre, historien de l’art et directeur de musée britannique., puis par Otto Mündler [4]Otto Mündler (Kempten [Allemagne], 1811 – Paris, 1870) : il figurait à son époque parmi les historiens de l’art, critiques et marchands les plus réputés. L’admiration que les plus grands historiens de l’art du XIXe siècle portaient à Mündler était unanime. Pourtant, son ouvrage Essai d’une analyse critique de la notice des tableaux italiens du musée national du … Poursuivre quelques années plus tard (1865), il a ensuite, à partir de la fin du XIXe siècle, été considéré comme provenant plus largement de l’environnement siennois. Après que le tableau a été envisagé par Andrea De Marchi comme une œuvre du ‘Maestro delle Eroine Chigi Saracini‘, en même temps qu’un tondo sur le même sujet [5]Domenico Beccafumi, Madonna und Kind mit dem jungen Johannes dem Täufer. conservé à Berlin, c’est Fiorella Sricchia Santoro qui a confirmé une nouvelle fois l’attribution, qui fait dorénavant autorité, au jeune Beccafumi. De nouveaux documents et des études récentes permettent de situer la période de réalisation du tableau vers 1508-1510, esquissant ainsi la voie qui a conduit à la création, en 1513, du Triptyque de la Trinité (exposé lui-aussi dans la salle 27 de la Pinacothèque), dans lequel le style le plus caractéristique de Beccafumi apparaît déjà pleinement abouti. « Aujourd’hui, on peut relier de manière décisive la peinture [parvenue à la Pinacothèque Nationale] non seulement aux héroïnes classiques de la collection Chigi Saracini, mais aussi à la Santa Agnese di Montepulciano de 1507. Légèrement postérieur à l’exécution des deux héroïnes Artemisia et Cléopâtre (1507), le panneau constitue un reflet de la situation florentine qui, pour le jeune Beccafumi, devait impliquer une étude des œuvres de Léonard et de Raphaël mais aussi une connaissance, bien que moins approfondie, d’artistes tels que Piero di Cosimo et Fra Bartolomeo. » [6]Alessandro ANGELINI, dans Il Buon secolo della pittura, p.74.

Désormais éloigné de la tradition picturale siennoise de la fin du XVe siècle, et passé par une phase de grande proximité avec le Pérugin, Domenico Beccafumi fait état de sa proximité avec la peinture de Léonard (La sainte Anne. Paris, musée du Louvre) et celle de Raphaël (Madonna del Cardellino, Florence, Gallerie degli Uffizi ; Heilige Familie aus dem Hause Canigiani, Munich, Alte Pinacothek), et qu’il est engagé sur la voie qui conduira à faire de lui l’un des principaux représentants de la manière moderne en Toscane. L’influence des deux maîtres transparaît dans la composition pyramidale des personnages, que leurs attitudes imbriquées réunissent en un seul groupe, uni par la douceur des sentiments exprimés dans les regards et dans les gestes d’une douceur qui se fait caressante.

Dans le tableau, alternent des détails originaux qui nécessitent parfois une observation attentive. Un chardonneret à peine visible, retenu par Marie au bout d’une ficelle de la plus grande finesse, attise l’intérêt de l’Enfant debout sur un pied, en équilibre instable sur le genou droit de sa mère. Pour voir l’oiseau, il est contraint de se retourner en effectuant un effort qui transparaît dans son petit corps potelé qui apparaît en torsion, comme enroulé sur lui-même, selon une formule qui anticipe un type de silhouettes que l’on retrouvera dans la pleine période du Maniérisme, pas uniquement florentin. Jean, face au spectateur, représenté dans une attitude tout aussi instable que celle de son cousin, est déjà identifiable, malgré son apparence enfantine, à la fois comme le prophète appelé à prêcher dans le désert et en tant que baptiste : vêtu d’une toute petite peau de chameau, il désigne celui qu’il sera conduit à baptiser lui-même après l’avoir reconnu et désigné comme agnus dei. [7]L’index levé de la main droite de Giovannino, le petit Jean, désigne aussi bien l’Enfant-Jésus que le phylactère où l’on devine la présence de l’inscription illisible : ecce agnus dei. Cette formule, appelée à un avenir certain, est placée par Jean l’évangéliste dans la bouche de Jean Baptiste : « En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste … Poursuivre La présence du curieux double seuil où la Madone a pris place, a pour effet de la positionner, ainsi que Jésus, par voie de conséquence, en arrière par rapport à Giovannino. Ce détail, loin d’être anodin, témoigne d’une phase d’expérimentation initiée par le peintre, tout en créant une anomalie spatiale qui rend périlleuse la construction du groupe pyramidal, sinon impossible la relation de proximité entre Jésus et Jean. Ce seuil évoque étrangement les margelles parallèles des sarcophages de marbre visibles dans les représentations contemporaines du genre iconographique de l’Homme de douleurs, comme si Beccafumi avait voulu inscrire l’œuvre dans la perspective de la Passion, conséquence inévitable du cycle de l’Incarnation initié à la naissance de l’Enfant. Le même message est contenu une seconde fois dans l’œuvre, à travers la très fine croix annonciatrice que Jean tient dans sa main gauche, si peu perceptible qu’elle pourrait échapper au regard. Le livre ouvert de la Vierge interrompue dans sa lecture symbolise les Saintes Écritures qui, elles aussi, annoncent la tragédie de la destinée terrestre du Christ.

De ce point de vue, le fond du paysage mérite également une attention particulière : magnifiés par l’artiste, les pics montagneux comme les collines vaguement rosées ont la douceur atmosphérique de certaines villes de Fra’ Bartolomeo, artiste qui, dans les décors naturels singuliers dont il est le créateur, semble avoir captivé l’imagination du jeune artiste siennois. Celui-ci les interprète en leur conférant une dimension excentrique, elle aussi typiquement maniériste : ce paysage comporte, à droite, à l’arrière du groupe principal, les figures d’une fuite en Égypte tracée de lignes liquides, d’une main étonnamment rapide et sûre d’elle. [8]Sortie elle aussi de l’atelier de Beccafumi, une variante de cette scène (Maria mit dem Kind und dem Johannesknaben. Berlin, Gemälde Gallerie.), d’une qualité moindre, fait apparaître au même emplacement, à droite dans l’arrière-plan, deux figures d’apôtres. Cette scène secondaire, en situant l’épisode représenté dans un contexte dramatique, confère décidément à l’image une dimension tout autre que celle, aimable, montrant d’innocents jeux d’enfants sous le regard attendri d’une mère.

Notes

Notes
1 « Monstra te esse matrem, / Sumat per te precem / Qui pro nobis natus / Tulit esse tuus » (« Tu es Mère, montre-le nous ! / Que celui qui pour nous est né / en acceptant d’être ton Fils / accueille par toi nos prières »). Extrait de l’hymne marial Ave Maris Stella. D’abord diffusée d’abord dans les monastères au Moyen Âge, l’hymne est devenue très populaire en Europe à partir de la Renaissance.
2 Avec cependant des références ponctuelles à Pacchia et à Beccafumi.
3 Charles Lock Eastlake (Plymouth, 1793 – Pise, 1864) : peintre, historien de l’art et directeur de musée britannique.
4 Otto Mündler (Kempten [Allemagne], 1811 – Paris, 1870) : il figurait à son époque parmi les historiens de l’art, critiques et marchands les plus réputés. L’admiration que les plus grands historiens de l’art du XIXe siècle portaient à Mündler était unanime. Pourtant, son ouvrage Essai d’une analyse critique de la notice des tableaux italiens du musée national du Louvre accompagné d’observations et de documents relatifs à ces mêmes tableaux, Paris, s. n., 1850, est rapidement tombé dans l’oubli.
5 Domenico Beccafumi, Madonna und Kind mit dem jungen Johannes dem Täufer.
6 Alessandro ANGELINI, dans Il Buon secolo della pittura, p.74.
7 L’index levé de la main droite de Giovannino, le petit Jean, désigne aussi bien l’Enfant-Jésus que le phylactère où l’on devine la présence de l’inscription illisible : ecce agnus dei. Cette formule, appelée à un avenir certain, est placée par Jean l’évangéliste dans la bouche de Jean Baptiste : « En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : l’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. » (Jn 1, 29).
8 Sortie elle aussi de l’atelier de Beccafumi, une variante de cette scène (Maria mit dem Kind und dem Johannesknaben. Berlin, Gemälde Gallerie.), d’une qualité moindre, fait apparaître au même emplacement, à droite dans l’arrière-plan, deux figures d’apôtres.