La façade de la Cathédrale de Sienne

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À l’instar de celle d’Orvieto, sa contemporaine, peut-être avec un peu lourdeur [1]L’étroitesse des deux tours latérales contribue pour beaucoup à l’effet de confinement qu’une plus grande ampleur des proportions aurait évité en donnant davantage de respiration à la profusion du décor., la façade de la Cathédrale de Sienne joue de l’abondance de ses œuvres sculptées, de la magnificence de ses matériaux et de leur diversité, source d’un chromatisme d’une exceptionnelle richesse visuelle.

Comme cela se produisait fréquemment lors de la constructions des grands édifices gothiques, généralement pour des raisons de coûts et de disponibilité de l’indispensable main d’œuvre qualifiée, le décor de la façade a été construit et parfois ré-élaboré sur une période de plusieurs siècles, de la fin du XIIIe s. à la fin du XIXe s. La splendeur du style d’origine, que l’on perçoit encore dans le registre bas, s’en trouve quelque peu altérée. Depuis l’origine, la luxuriance étonnante de cette ornementation était destinée, dès l’abord, à préparer le chrétien qui pénétrait dans l’édifice à la rencontre avec la Mère de Dieu, Protectrice et Souveraine de la ville, en l’honneur de laquelle Sienne avait voulu édifier ce temple.[2]La Cathédrale est dédiée à Vierge de l’Assomption (Santa Maria Assunta).

STRUCTURE ET DÉCOR ARCHITECTURAL DE LA FAÇADE

Sur le plan historique comme sur celui du style, la structure de la façade se distingue par la présence de deux registres superposés.

Carte des matériaux utilisés [3]D’après Droghini, F., Giamello, M., Guasparri, G. et al. « The colour of the facades in Siena’s historical centre: I. Glazings (calcium oxalate films s.s.) and other finishes on the stone materials of the Cathedral’s main facade », Archaeol Anthropol Sci 1, 123–136, 2009, https://doi.org/10.1007/s12520-009-0009-0

Une part importante de la splendeur de la façade est due à l’utilisation et à l’agencement à visée ornemental des matériaux naturellement colorés, dont le coût important était lié à leur relative rareté et à leur transport à partir de sites de production la plupart du temps éloignés du chantier de construction.

2. D’après Droghini, F., Giamello, M., Guasparri, G. et al. « The colour of the facades in Siena’s historical centre: I. Glazings (calcium oxalate films s.s.) and other finishes on the stone materials of the Cathedral’s main facade ».

Légende :

A : marbre, B : travertin, C : albâtre, D : calcaire ammonitique rouge, E : serpentine, F : calcaire noir, G : calcaire ‘verde Alpi’, H : marqueterie d’éléments en pierre, I : marqueterie d’éléments vitrés, L : éléments métalliques, M : mosaïque, N : éléments de fibre de verre.

REGISTRE INFÉRIEUR

Réalisé par Giovanni Pisano entre 1284 et 1297, le registre inférieur de la façade comporte trois portails profondément ébrasés. Mais l’ornementation la plus extraordinaire de cette partie de la façade est constituée par le programme sculpté qui court tout au long de la corniche qui sépare les deux registres, œuvre du même artiste, dans lequel est figuré l’immense conciliabule des prophètes annonçant l’avènement de la Vierge à force de rouleaux déployés sur lesquels sont inscrites des citations de l’Ancien Testament. Parmi ces figures vétéro-testamentaires , d’autres personnages issus du Nouveau Testament viennent s’immiscer, y compris sous une forme symbolique s’agissant des quatre évangélistes. Et puisque nous sommes à Sienne, nous aurons l’occasion d’observer la présence d’un petit nombre d’intrus, en particulier les figures de quelques-uns des saints Patrons de la ville.

Les trois portails

GÂBLES

PORTAIL GAUCHE

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Angelo

Giovanni Colombini

PORTAIL DROIT

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Angelo

Andrea Gallerani

Les trois portails sont surmontés de gâbles contenant, en leur centre, les bustes des bienheureux siennois, dans l’ordre : Giovanni Colombini (fig. 2), Ambrogio Sansedoni (fig. 3) et Andrea Gallerani (fig. 4), sculptés par Tommaso Redi [4]Tommaso Redi est également l’auteur de la statue de l’Ange placée au sommet de la façade, du bas-relief en bronze et cuivre de l’Assunta (1631) qui figura un temps au centre du gâble central, et fournit probablement les modèles de la Santa Caterina et du San Bernardino, toujours pour la façade de la Cathédrale (1633), toutes retirées au XIXe s., excepté … Poursuivre, et ajoutés au XVIIe siècle (v. 1630). Au sommet des trois gâbles, deux Anges encadrent la Vierge de l’Annonciation. Cette dernière est venue remplacer le Saint Michel d’origine (aujourd’hui perdu).

TYMPANS ET ARCHITRAVES DES PORTAILS

PORTAIL GAUCHE

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Blason O.P.A.

Busti di profeti e santi

PORTAIL CENTRAL

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Monogramme du Christ

Storie di Giacchino e Anna e dell’Infanzia della Vergine

PORTAIL DROIT

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Blason O.P.A.

Busti di profeti e santi

Inscription lapidaire commémorative [5]Disposée sur trois lignes, l’inscription se lit de la manière suivante : « ANNUS CENTENUS ROME SEMP(ER) E(ST) IUBILENUS / CRIMINA LAXANTUR CUI PENITET ISTA DONA(N)T(UR) / HEC DECLARAVIT BONIFATIUS ET ROBORAVIT » (« La centième année à Rome est toujours celle du jubilé / Les péchés sont pardonnés à ceux qui se repentent / Ceci a été déclaré et confirmé par Boniface ». … Poursuivre

L’exception notable dans le programme iconographique de la statuaire annonçant la venue du Christ est l’architrave avec des épisodes de la vie de la Vierge, placée au-dessus du portail central et sous la lunette, considérée comme une œuvre originale de Tino di Camaino, datant de la première ou deuxième décennie du XIVe siècle, et les bustes des bienheureux Siennois Giovanni Colombini, Ambrogio Sansedoni et Andrea Gallerani, sculptés dans les tympans des pignons par Tommaso Redi (années 1630). Le trigramme en bronze du nom du Christ, sur la lunette du portail central, date de la même époque.

L’inscription lisible sur l’architrave du portail droit commémore la bulle « Antiquorum habet fida relatio », promulguée en 1299 par le pape Boniface VIII, qui inaugure ainsi le premier jubilée de l’Église Catholique. [6]Voir note précédente.

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10. Portail central.
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Les embrasures des portails sont constituées de plusieurs colonnes torses cannelées auxquelles s’ajoutent de chaque côté du portail central, deux belles colonnes ornées de feuilles d’acanthe qui s’enroulent autour des fûts, et, aux deux extrémités latérales, deux colonnes torsadées.

Reprenant à une échelle plus modeste le programme iconographique de l’ensemble de la façade, le portail central en bronze, exécuté en 1958 par le sculpteur Enrico Manfrini [7]Enrico Manfredi (Lugo, 1917 – Milan, 2004) : sculpteur, graveur et professeur. représente la Glorification de Marie à travers plusieurs scènes de sa vie terrestre (Annonciation, Visitation, Nativité de Jésus, Fuite en Égypte, …) culminant avec son Couronnement.

DÉCOR SCULPTÉ DE LA FAÇADE


Les statues de la façade de la Cathédrale de Sienne sont les premières œuvres exécutées par Giovanni Pisano seul, indépendamment de son père Nicolas. Elles représentent un incroyable ensemble de personnages, d’animaux et de symboles dont le mode de présence est la marque d’une nouveauté absolue dans l’histoire de l’art italien. Elles constituent à la fois l’ornement majeur de la façade et l’un des cycles les plus significatifs de la statuaire gothique européenne. Jusque là, si les éléments sculptés avait évidemment leur place dans le décor de l’architecture religieuse, ils étaient exploités dans une économie générale radicalement différente : ornementation des chapiteaux, statues disséminées dans les voussures et les tympans, brefs cycles narratifs ailleurs. Contrairement aux statues ornant les cathédrales de l’Europe du Nord, et même si leur style est inspiré par celui des cathédrales gothiques du nord des Alpes, celles de la Cathédrale de Sienne sont libérées de tout lien fonctionnel avec l’architecture et se positionnent, de ce fait, de manière autonome dans l’espace. Les attitudes dramatiques et les raccourcis de la représentation, la puissance des corps et l’expression individualisée des visages sculptés dans la pierre contribuent à définir la psychologie individuelle des personnages. Sortis de l’atelier de Giovanni Pisano, cet ensemble constitue un cycle véritablement monumental, élaboré selon un concept unitaire et un programme iconographique précis, entièrement voué à l’exaltation et la glorification de la Vierge. Il s’agit de prophètes, de rois, et de patriarches qui, dans l’Ancien Testament, ont tous annoncé (volontairement ou non) la venue au monde de la Vierge ; on y rencontre aussi une sibylle et deux philosophes de l’Antiquité grecque. Chacun d’entre eux arbore un rouleau de parchemin sur lequel est inscrite une formule dont il est l’auteur, et que la postérité a voulu considérer comme une prophétie, y compris dans le cas de Platon et d’Aristote. L’immense dialogue qui s’instaure d’un bout à l’autre de la façade est sidérant. Placées devant des niches-tabernacle ou sur des tablettes, les statues dialoguent dans l’espace et l’on croirait les voir rivaliser de bruit pour se faire entendre, l’architecture n’étant somme toute que la toile de fond de cet immense et divin vacarme.

Le programme iconographique initial prévoyait que l’ornementation sculptée de la partie inférieure de la façade illustre l’annonce de l’avènement de la Vierge Marie, tandis que la partie haute serait consacrée à sa présence sur la Terre depuis sa jeunesse jusqu’à son Assomption. Les modifications successives survenues dans l’ordre des statues rend cette thématique moins lisible aujourd’hui.

Les Sculptures de la façade et des tours

Au cours des XIXe et XXème siècles, les statues originales ont été remplacées par des copies et déposées au Musée de l’Œuvre de la Cathédrale afin de mettre un terme à la lente dégradation que leur faisaient subir les intempéries climatiques. Seul un bas-relief à caractère narratif est resté en place : il s’agit de l’architrave du portail central, œuvre de Tino di Camaino datant d’environ 1297-1300, où sont figurés des Épisodes de l’Enfance de la Vierge

REGISTRE INFÉRIEUR

Sur le flanc de la tour gauche, une figure non identifiable est suivie du prophète Isaïe et du prophète Balaam. Sur la façade, de gauche à droite, le philosophe Platon, le prophète Habacuc, une Sybille (tour gauche) ; le roi David, le roi Salomon (au-dessus du portail central) : Moïse, Jésus de Sirach et une figure non identifiable (tour droite). Sur le flanc de la tour droite, enfin, Simeone, la prophétesse Marie de Moïse et le philosophe Aristote (?).

TOUR GAUCHE (FLANC)

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TOUR DROITE (FLANC)

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Aristotele [8]La copie du XXe s. qui a remplacé l’original sur la tour droite présente un nombre notable de différences avec l’original visible au Musée de l’Œuvre.

TOUR GAUCHE

FAÇADE

TOUR DROITE

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Mosé

Griffone

Prophète ?

Cavallo

Au-dessous de ces statues de prophètes, on peut voir six figures d’animaux allégoriques qui ponctuent la corniche située à la hauteur des gâbles : les deux chevaux situés aux deux extrémités symboliseraient l’Église, les deux lions qui encadrent le portail central, la Résurrection et la Majesté du Christ, le griffon sa Vigilance et le taureau son Sacrifice.

Plus haut, entre la Vierge et les Anges, reposant sur l’architrave, se trouvent les représentations anthropomorphiques des quatre évangélistes (dans l’ordre : ). Toutes les statues sont des copies d’originaux conservés au Museo dell’Opera del Duomo. Les statues des tours latérales, jusqu’au sommet, sont dues à Giovanni Pisano ou à son atelier. [9]M. Quast, « La facciata occidentale del Duomo vecchio: l’architettura », dans M. Lorenzoni (dir.), La facciata del Duomo di Siena, Cinisello Balsamo, Silvana editoriale, 2007, pp.

REGISTRE SUPÉRIEUR

Camaino di Crescentino, père de Tino, achève la partie supérieure de la façade en 1317, lui conférant ainsi son actuel aspect à trois gâbles venus souligner la présence du vaisseau central et celle des collatéraux à l’intérieur de l’édifice. Ces gâbles sont ornés de mosaïques, à vrai dire d’assez peu d’intérêt, réalisées en 1878 à partir de modèles conçus par les peintres Luigi Mussini et Alessandro Franchi [10]Les maquettes de ces trois œuvres, qui comportent abondamment la marque puriste du siècle qui les a vu naître, sont conservées au Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo. ; ces mosaïques représentent, à gauche, La Présentation de Marie au Temple, au centre Le Couronnement de la Vierge, et à droite, La Nativité.

Le centre de la façade est percé d’un oculus fermé par un vitrail du XVIe siècle que l’on retrouvera après avoir pénétré dans l’édifice ; celui-ci est entouré de niches où apparaissent des bustes d’Apôtres et de Prophètes. Tous les originaux sont désormais conservés au Museo del Duomo exceptés ceux des quatre figures masculines initialement placés dans les angles du carré central enfermant l’oculus, qui sont aujourd’hui relégués parmi les souvenirs mis en vente dans la boutique de la cathédrale. Le long de la corniche, quatre prothomés (trois animaux et un ange) constituent la figure du tétramorphe, autrement dit La Réunion des attributs symboliques de chacun des quatre évangélistes : le lion (Marc), le taureau ailé (Luc), l’ange (Matthieu) et l’aigle (Jean).

PARTIE CENTRALE DE LA FAÇADE

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Antenati di Cristo


Antenati di Cristo


Antenati di Cristo

Antenati di Cristo


Antenati di Cristo


Antenati di Cristo

S. Marco Evangelista [11]La statue de l’évangéliste Marc associée au Lion ailé est perdue ou dorénavant non identifiable.

Leone alato dell’evangelista Marco

S. Giovanni Evangelista

Aquila di Giovanni evangelista [12]L’original de l’aigle, symbole de Jean, est perdu. Celui qui le remplace sur la façade est une création du XIXe s.).

TOUR DROITE

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Apôtre

Apôtre

Apôtre

Sculptures et MOSAIQUES DES PIGNONS

Sur chacun des trois pignons, une mosaïque est venue remplacer l’ancien décor qui a subsisté jusqu’à la fin du XIXe siècle. Trois statues représentant respectivement deux saints encadrant l’archange Michel couronnent l’édifice.

TOUR GAUCHE

Santo

FAÇADE

S. Michele [13]Note :

TOUR DROITE

Santo

Notes

Notes
1 L’étroitesse des deux tours latérales contribue pour beaucoup à l’effet de confinement qu’une plus grande ampleur des proportions aurait évité en donnant davantage de respiration à la profusion du décor.
2 La Cathédrale est dédiée à Vierge de l’Assomption (Santa Maria Assunta).
3 D’après Droghini, F., Giamello, M., Guasparri, G. et al. « The colour of the facades in Siena’s historical centre: I. Glazings (calcium oxalate films s.s.) and other finishes on the stone materials of the Cathedral’s main facade », Archaeol Anthropol Sci 1, 123–136, 2009, https://doi.org/10.1007/s12520-009-0009-0
4 Tommaso Redi est également l’auteur de la statue de l’Ange placée au sommet de la façade, du bas-relief en bronze et cuivre de l’Assunta (1631) qui figura un temps au centre du gâble central, et fournit probablement les modèles de la Santa Caterina et du San Bernardino, toujours pour la façade de la Cathédrale (1633), toutes retirées au XIXe s., excepté l’Angelo qui fut alors remplacé par la copie que l’on voit encore. (Voir Monika Butzek, « Chronologie », dans P. A. Riedl – M. Seidel [dir.], Die Kirchen von Siena, III, 1.1.1, München, 2006, pp. 209-211).
5 Disposée sur trois lignes, l’inscription se lit de la manière suivante : « ANNUS CENTENUS ROME SEMP(ER) E(ST) IUBILENUS / CRIMINA LAXANTUR CUI PENITET ISTA DONA(N)T(UR) / HEC DECLARAVIT BONIFATIUS ET ROBORAVIT » (« La centième année à Rome est toujours celle du jubilé / Les péchés sont pardonnés à ceux qui se repentent / Ceci a été déclaré et confirmé par Boniface ». L’année 1300 devient la première Année Sainte, même si la bulle indique la date du jour de Noël 1299 pour en marquer le début.
Il s’agit d’une gravure originale de l’année 1300, bien que l’épigraphe ne contienne aucune datation, contrairement à ce qu’affirment divers spécialistes (Vittorio Lusini, qui évoque sa présence en ajoutant la date « A.D. MCCC », qui n’est pourtant pas inscrite sur le linteau).
6 Voir note précédente.
7 Enrico Manfredi (Lugo, 1917 – Milan, 2004) : sculpteur, graveur et professeur.
8 La copie du XXe s. qui a remplacé l’original sur la tour droite présente un nombre notable de différences avec l’original visible au Musée de l’Œuvre.
9 M. Quast, « La facciata occidentale del Duomo vecchio: l’architettura », dans M. Lorenzoni (dir.), La facciata del Duomo di Siena, Cinisello Balsamo, Silvana editoriale, 2007, pp.
10 Les maquettes de ces trois œuvres, qui comportent abondamment la marque puriste du siècle qui les a vu naître, sont conservées au Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo.
11 La statue de l’évangéliste Marc associée au Lion ailé est perdue ou dorénavant non identifiable.
12 L’original de l’aigle, symbole de Jean, est perdu. Celui qui le remplace sur la façade est une création du XIXe s.).
13 Note :

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