Francesco di Giorgio Martini (Sienne, 1439 – 1502) e ‘Fiduciario di Francesco’ [1]
Couronnement de la Vierge, 1472.
Tempera sur panneaux, 340 x 200 cm. (cadre original compris) ; 318 x 180 cm. (surface peinte).
Provenance : Ospedale di Santa Maria alla Scala, Sienne ; auparavant : Chapelle des saints Catherine de Sienne et Sébastien, dans l’église de l’abbaye de Monteoliveto Maggiore, Chiusure (Asciano).
Sienne, Pinacoteca Nazionale.
En 1812, le panneau se trouvait encore dans l’église de l’abbaye du monastère de Monte Oliveto Maggiore, ainsi qu’en atteste une correspondance de l’époque. [2] A cet emplacement, il ornait la chapelle située au pied du campanile (aujourd’hui chapelle du Santissimo Crocifisso), construite sous le généralat du bolonais Leonardo Mezzavacca, dont le nom d’origine était déterminé par la présence d’un autel consacré aux saints Sebastiano et Caterina da Siena (Catherine, dont le culte récent [3] était cher aux Olivétains). C’est la raison pour laquelle tous les deux figurent à genoux au premier plan (Sébastien, qui apparaît vêtu comme un chevalier et tient une flèche à la main, selon une iconographie archaïsante, et Catherine sont tous les deux représentés de trois-quarts avant ou arrière, au-devant de la scène).
Cette grande machinerie, impressionnante, un peu compliquée mais extraordinaire par son inventivité, a été conçue par Francesco di Giorgio mais vraisemblablement exécutée, au moins en partie, par son atelier. Elle a été achevée en septembre 1474. De quoi s’agit-il ?
Tout en haut, apparaît la figure de Dieu le Père, selon une iconographie sur laquelle nous reviendrons plus avant.

Au-dessous, parmi la foule des saints représentés, pas toujours aisément identifiables, mais ordonnés dans une scénographie entièrement renouvelée, on reconnaît Jésus, que l’on voit en train de couronner la Vierge Marie. Autour du trône de séraphins qui porte le Christ, parmi les anges chanteurs et les prophètes, on remarque :
- Giovanni Battista, à gauche
- Le roi David, à droite

L’édifice instable au sommet duquel se trouve le couple formé par le Christ couronnant sa mère mérite un examen. À l’avant d’une structure architecturale (il pourrait s’agir d’un autel placé sur une estrade comportant plusieurs marches), une seconde structure, tout aussi imaginaire est portée sans aucune peine apparente par une cohorte de séraphins. Certains sont alignés sur le pourtour de ce qui s’apparente davantage à une vasque qu’à un nuage, d’autres, au-dessous, interviennent en soutient, à la manière d’atlantes soulevés dans (deux chérubins et deux anges, l’un vêtu de rose, le second de noir, leur apportent une aide qui semble bien relative, mais connaît-on la force des anges ?). Un troisième groupe fait office de support à l’ensemble, un tout qui, flottant ainsi dans les airs, évoque une sorte de fontaine à laquelle il aurait emprunté sa propre structure.
Sur deux colonnes placées latéralement, à gauche et à droite de l’édifice mouvant que l’on vient de décrire, paraissent plusieurs figures saintes, parmi lesquelles :
- Andrea (hirsute, comme Jean Baptiste, son premier maître)
- ?
- Pietro
- ?
- Ansano (le symbole de la Balzana à la main)
- Stefano (diacre juvénile tonsuré)
- Il Beato Bernardo Tolomei (un moine blanc bénédictin)
- Mauro ou Placido (que le Sodoma peindra au côtés de Benoît sur les murs du cloître de Monte Oliveto) ?
- Giovanni Evangelista ? (apôtre vêtu d’un manteau écarlate, un livre à la main)
- Agnès (on entrevoit l’agneau, son attribut habituel, dans ses bras)
- Catherine d’Alexandrie (une élégante princesse tenant la palme du martyre)
- Sébastien (des flèches à la main)
- ?
- Paolo (sa calvitie, sa longue barbe brune, et son épée discrètement visible)
- ?
- Lorenzo (dont on aperçoit la grille)
- ?
- ?
- Benedetto (portant la barbe longue, revêtu de l’habit blanc et tenant la crosse épiscopale)
- ?
- Leonardo (muni des entraves qui l’accompagnent habituellement)
- Dorothée (une brassée de fleur dans le pli de sa robe)
- Lucie (tenant l’épée qui lui perça le cœur) ou Justine (qui subit le même sort, pour les mêmes raisons) ?
- Catherine de Sienne (vêtue de l’habit de dominicaine, un lys à la main)

Dans la partie supérieure de l’œuvre, l’apparition de Dieu le Père est proprement phénoménale. Celui-ci semble descendre du haut des cieux (et du retable) à travers une ouverture circulaire pratiquée dans la nuée : l’Eternel semble littéralement fondre sur la scène, dans un raccourci que l’on nomme en Italie di sotto-in-su [4], cerné dans un double tourbillon d’air et rarement représenté de manière aussi vertigineuse. Le mouvement est tel que ses vêtements sont happés par le courant d’air circulaire. « L’animation dramatique des tissus, la contraction des mains, la dense chevelure tourbillonnante et soulevée dans les airs sont en relation évidente avec les inventions les plus enflammées de Libérale da Verona » [5], telles que Francesco di Giorgio à pu les voir dans les graduels enluminés de la Cathédrale de Sienne [6]. Le bord inférieur de la percée céleste est entouré d’une couronne de chérubins qui s’enroule tout autour jusqu’à disparaître derrière la courbure du cadre de l’œuvre avec laquelle elle coïncide. Au delà de la délimitation ainsi marquée, on entrevoit l’empyrée et les corps nus de créatures célestes à l’innocence retrouvée, baignés dans une lumière mordorée. Dans l’épaisseur des cieux qui vient d’être percée, huit couches successives, aux couleurs changeantes, sont visibles. Sur la plus basse d’entre elle, mais aussi la plus obscure, apparaît, à gauche de la figure de l’Éternel, le croissant de la lune, et à droite la figure de Diane. Au-dessus de la bande sombre, alternent de bas en haut de gauche à droite, les planètes et leurs divinités correspondantes, selon le schéma suivant, qui semble résumer l’état des connaissances en matière d’astronomie en ce début de la période de la Renaissance, mêlant science et croyance :
- La Lune et Diane tenant le croissant de lune
- Mercure, vêtu d’un habit de pèlerin et du chapeau qui l’accompagne et la planète Mercure
- La planète Vénus et la déesse du même nom, sous l’apparence d’une femme nue se regardant dans un miroir
- Le Soleil précédé du char d’Apollon vu de manière stylisée
- Mars sous les traits d’un guerrier casque et armé d’une lance et la planète correspondante
- La planète Jupiter et le dieu des dieux, couronné et lançant un javelot
- Saturne empoignant la faux et la planète Saturne
- Les étoiles figurées par les signes du zodiaque (Verseau, Capricorne, Sagittaire, Scorpion, Cancer, Gémeaux, Taureau, Bélier, Poisson)
On peut être frappé par certaines incohérences qui nuisent à la clarté de l’espace représenté mais est-il bien utile de s’en offusquer lorsque nous sommes face à une œuvre dont le sujet n’exige nulle cohérence spatiale qui puisse avoir un rapport avec la réalité qui est celle du quotidien. Il est également possible de s’appesantir sur la dureté de certains détails en exprimant le regret d’une intervention trop pesante de l’atelier dans l’exécution. Mais il est certainement préférable de retenir, dans cette foule de détails, certaines idées d’une réelle beauté, telle cette jeune sainte, sans doute empruntée à Piero della Francesca [7], qui pose sa main sur l’épaule de sa voisine pour mieux observer le spectacle environnant.
La question d’une prédelle
Le retable était-il accompagné d’une prédelle ? La question n’est pas résolue et semble encore débattue. Parmi les tenants de l’existence d’une prédelle, plusieurs hypothèses ont été formulées. L’une d’elles semble plus probable que d’autres. Certains historiens de l’art se sont accordés autour de la prédelle des Storie di Benedetto, peinte par Neroccio, aujourd’hui conservée aux Offices de Florence. Pourquoi cette proposition ? Benoit, le saint dont l’histoire est racontée en trois épisodes, figure parmi ceux qui peuplent la scène du Couronnement de la Vierge peinte sur le grand retable. Benoit est également le fondateur de l’Ordre auquel appartient l’abbaye de Monte Oliveto Maggiore, d’où provient notre retable.
- Neroccio di Bartolomeo de’ Landi, Tre storie di Benedetto :
[1] Voir : ‘Fiduciario di Francesco’.
[2] Voir : Luciano Bellosi (a cura di), Francesco di Giorgio Martini e il Rinascimento a Siena. 1450-1500 (catalogue d’exposition, Siena, 25 aprile – 31 luglio 1993). Milano, Electa, 1993, p. 300.
[3] La canonisation de Caterina Benincasa date de 1461.
[4] C’est-à-dire une vue prise « de bas en haut ».
[5] Luciano Bellosi, op. cit. p. 302.
[6] On peut en admirer quelques uns des plus précieux dans les vitrines de la Libreria Piccolomini, dans la Cathédrale de Sienne.
[7] Dans le Baptême de Londres, l’un des trois anges inoubliables peints par Piero pose sa main sur l’épaule de son voisin, avec la même nonchalance magnifique.
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