Giovanni di Paolo (actif à Sienne vers 1400 – 1482)
Grande Maestà (Grande Vierge en Majesté), v. 1472-1482. [1]Dans la mesure où, en 1477, il existait un tabernacle de San Galgano, « il est concevable que la Grande Maestà ait été peinte en 1477 (et peut-être complétée par l’atelier si elle ne l’était pas déjà au 19 novembre 1477, alors que le peintre était gravement malade » (SALLAY 2015, p. 148).
Tempéra et or sur panneaux, 279 x 242 cm (avec la lunette et les pilastres).
Inscriptions :
- (sur le livre de Moïse) : « Non habebis deos alienos coram me. Non assumes nomen Domini Dei tui in vanum. Memento ut diem sabbati sanctifices. Honora patrem tuum et matrem tuam. Non occides. Non mechab[er]is. Non furtum facies. Non loqueris contra proximum tuum falsum testimonium. Non concup … » [2]Le texte complet, issu de la Vulgate, est le suivant : « Non habebis deos alienos coram me. [Non facies tibi sculptile, neque omnem similitudinem quæ est in cælo desuper, et quæ in terra deorsum, nec eorum quæ sunt in aquis sub terra. Non adorabis ea, neque coles: ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in filios, in tertiam et quartam generationem … Poursuivre
- (sur le phylactère presque entièrement dissimulé de Jean Baptiste) : « EC[CE AGNUS] » [3]Ecce agnus, ecce qui tollit peccata mundi (« Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde ». Évangile selon Jean (Jn 1, 29
Provenance non documentée [4]Bien que non documentée, la provenance de la Grande Maestà pourrait, selon D. Sallay (SALLAY 2015, p. 152.), du fait de la présence conjointe de saints Dominicains et Cisterciens dans les pilastres, s’orienter vers l’ancienne église de Santa Maria Maddalena de la via Romana (Sienne), d’abord dominicaine, puis rénovée, en 1474-1477, par les moines cisterciens de l’Abbaye de San … Poursuivre.
Sienne, Pinacoteca Nazionale.
PANNEAU CENTRAL
Le panneau principal comporte la représentation de la Vierge en majesté tenant l’Enfant Jésus sur les genoux (fig. 1), entourée de douze anges dont seules dépassent les têtes au-dessus des deux groupes de saints installés au premier plan, à proximité du trône royal sur lequel la Vierge a pris place. Ce trône de pierre à l’architecture gothique est orné de motifs de type cosmatesque et d’une série de sculptures parmi lesquelles on remarque quatre anges qui, au sommet du dossier, forment une couronne autour d’un médaillon où apparaît le Christ bénissant, tandis que, sur les bras du siège, deux autres anges sont en adoration devant le spectacle de la Mère portant avec des marques visibles de tendresse maternelle un Enfant costaud semblant quelque peu embarrassé dans ses vêtements.
Au premier plan, de part et d’autre du trône de la Vierge, sont réparties douze figures de saints représentés en pied de manière suffisamment précise pour que l’on soit en mesure de les identifier. On peut ainsi reconnaître, à gauche du trône (fig. 2), les saints Etienne (la pierre visible au sommet de son crâne évoque sa mort par lapidation), Pierre (les deux clés d’or et d’argent à la main), Jean Baptiste (indiquant de l’index la scène principale où figure le Christ [5]C’est dans cette attitude, désignant le Messie caché parmi la foule, que Jean Baptiste est décrit par l’autre Jean, l’Évangéliste (Jn, 1, 29) : voir note précédente.), Thomas (jeune homme tenant une dague) et Moïse le prophète présentant les tables des Dix Commandements rapportés du Sinaï.
À droite du trône (fig. 3), les saints Laurent (vêtu en jeune clerc qu’il fut), Paul (chauve et portant une barbe sombre, ainsi que l’épée, instrument de son martyre), Barthélémy (armé du coutelas qui fut aussi l’instrument de son martyre), un évêque non identifié, David (représenté en tant que roi, portant une couronne, et tenant à la main, en tant que musicien, un psaltérion dont il pince les cordes).
Dans les deux écoinçons au dessus de la scène principale, se déroule la scène de l’Annonciation à travers les figures séparées de Gabriel et de Marie.
PILASTRES LATÉRAUX
La foule des saints se prolonge sur les pilastres latéraux où l’on peut reconnaître, dans celui de gauche, de haut en bas : Grégoire (fig. 4), Ambroise (?) (fig. 4), Albert le Grand, plutôt que Dominique comme repris la plupart du temps depuis Pope-Hennessy (fig. 6), Benoît (fig. 7), Bernardin (fig. 8).
Sur le pilastre de droite, de haut en bas, sont représentés Jérôme (fig. 9), Augustin (fig. 10), Thomas d’Aquin (fig. 11), Galgano, tenant entre ses mains le célèbre reliquaire du XIIIe s. dans lequel sa tête était conservée (fig. 12), Catherine de Sienne (fig. 13).
La géométrie qui organise la répartition des nombreuses figures est loin d’être anodine. Les quatre pères de l’Église, Grégoire, Ambroise, Jérôme et Augustin apparaissent symétriquement au sommet des pilastres ; au-dessous, se situent de la même manière deux saints Dominicains (Albert le Grand et Thomas d’Aquin), puis à nouveau deux saints appartenant ayant créé ou appliqué la règle bénédictine (Benoît, en blanc, et Galgano, moine cistercien). Enfin, les figures de deux saints siennois nouvellement canonisés (Bernardin, en 1450, et Catherine, en 1461) se font écho à la base des pilastres. Cette organisation symétrique vaut également, de manière plus discrète, dans le grand panneau central.
LUNETTE
Selon toute vraisemblance, cette lunette ne provient pas du retable d’origine. L’orientation oblique des architectures de l’arrière plan indique que le panneau, pour pouvoir être scié et mis à la forme, a préalablement dû être légèrement pivoté sur son axe afin de permettre que soient conservés suffisamment de détails de la scène initiale. Une seconde étrangeté vient du fait que le panneau central du retable comporte déjà une Annonciation : celle-ci vient inutilement s’ajouter à la première. Nous sommes face à l’un de ces arrangements effectués au XIXe s., visant à reconstituer à toutes forces l’apparence de l’achèvement de l’œuvre, quitte à procéder au détriment de toute logique iconographique, et quitte à occasionner une perte de sens.
Ce curieux montage ne diminue cependant en rien la beauté intrinsèque de cette Annonciation dans laquelle la présence de chaque détail est fondée sur une intention de faire sens. Cette remarque vaut en particulier pour l’organisation d’une architecture irréelle et compliquée à dessein, parfaitement adaptée à l’idée même du miracle en cours, et mise entièrement au service du sens véhiculé par l’image.
Hypothèse de reconstitution du retable
PRÉDELLE
Il convient de signaler l’hypothèse de Pope-Hennessy, confirmée par Brandi et reprise ultérieurement, selon laquelle la prédelle du polyptyque pourrait être identifiée avec le panneau de la Galerie Nationale de Parme au format oblong caractéristique, intitulé Le Christ et les saints porteurs de croix. [6]Giovanni di Paolo, Le Christ et les saints porteurs de croix, vers 1454-55. Tempéra et or sur panneau, 28 x 200 cm. Galerie Nationale de Parme.

En 2015, Dóra Sallay [7]Dóra SALLAY, « Giovanni di Paolo : Cristo e santi portacroce », La fortuna dei primitivi. Tesori d’arte dalle collezioni italiane fra sette e ottocento, ed. Angelo Tartuferi and Gianluca Tormen. (Exh. cat. Florence, Galleria dell’Accademia), Milano, Giunti, 2014, pp. 222–224, cat. 23. a proposé de reconstituer le couronnement du polyptyque d’une manière plus conforme à l’aspect original de l’œuvre, en y réintégrant les figures des quatre Évangélistes accompagnés de leurs attributs animaliers provenant de la Galerie De Boer à Amsterdam. La figure qui devait être représentée au centre est aujourd’hui perdue. L’ensemble, très convaincant, présente une apparence beaucoup plus conforme au gothique siennois, style généralement propre à l’œuvre de Giovanni di Paolo.
COURONNEMENT DU RETABLE
Actuellement, au-dessus du panneau principal, le retable est couronné d’une lunette. Dans cette lunette, figure une Annonciation que John Pope-Hennessy [8]POPE HENNESSY 1937, p. . ne considérait pas comme appartenant à l’œuvre. Les doutes semblent d’autant plus fondés que cette Annonciation fait double emploi avec celle, plus discrète mais pourtant bien visible, qui figure dans les écoinçons de part et d’autre de l’encadrement à demi circulaire qui somme l’image principale (à gauche, Gabriel, à droite, Marie). De ces deux Annonciations empilées l’une sur l’autre, l’une est de trop. Pietro Torriti [9]TORRITI 1977, p. 334. confirme l’existence d’un doute sérieux et ajoute que la lunette est positionnée en retrait par rapport au panneau central et que son encadrement, différent de celui du même panneau, est complètement disproportionné. Il est également probable que cette seconde Annonciation, malencontreusement intégrée dans le présent retable, ait également été découpée à cet effet. Cela, du moins, expliquerait que les verticales de la composition architecturale sur laquelle se détache la scène soient ici étrangement obliques, comme s’il avait fallu faire pivoter le panneau pour en intégrer le contenu figuratif dans le nouveau format obtenu.




- Giovanni di Paolo, Saint Luke. Seattle Art Museum, Samuel Kress Collection.
- Giovanni di Paolo, Saint John the Evangelist. Amsterdam, Stichting Collectie P. en N. de Boer.
- Giovanni di Paolo, Saint Matthew. Budapest, Museum of Fine Arts.
- Giovanni di Paolo, San Marco Evangelista. Sienne, Pinacoteca Nazionale.
Notes
1↑ | Dans la mesure où, en 1477, il existait un tabernacle de San Galgano, « il est concevable que la Grande Maestà ait été peinte en 1477 (et peut-être complétée par l’atelier si elle ne l’était pas déjà au 19 novembre 1477, alors que le peintre était gravement malade » (SALLAY 2015, p. 148). |
---|---|
2↑ | Le texte complet, issu de la Vulgate, est le suivant : « Non habebis deos alienos coram me. [Non facies tibi sculptile, neque omnem similitudinem quæ est in cælo desuper, et quæ in terra deorsum, nec eorum quæ sunt in aquis sub terra. Non adorabis ea, neque coles: ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in filios, in tertiam et quartam generationem eorum qui oderunt me : et faciens misericordiam in millia his qui diligunt me, et custodiunt præcepta mea.] Non assumes nomen Domini Dei tui in vanum] : nec enim habebit insontem Dominus eum qui assumpserit nomen Domini Dei sui frustra.] Memento ut diem sabbati sanctifices. [Sex diebus operaberis, et facies omnia opera tua. Septimo autem die sabbatum Domini Dei tui est: non facies omne opus in eo, tu, et filius tuus et filia tua, servus tuus et ancilla tua, jumentum tuum, et advena qui est intra portas tuas. Sex enim diebus fecit Dominus cælum et terram, et mare, et omnia quæ in eis sunt, et requievit in die septimo: idcirco benedixit Dominus diei sabbati, et sanctificavit eum.] Honora patrem tuum et matrem tuam[, ut sis longævus super terram, quam Dominus Deus tuus dabit tibi.] Non occides. Non mœchaberis. Non furtum facies. Non loqueris contra proximum tuum falsum testimonium. Non concup[isces domum proximi tui, nec desiderabis uxorem ejus, non servum, non ancillam, non bovem, non asinum, nec omnia quæ illius sunt.] » (« Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. [Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération.] Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu[, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom.] Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.] Honore ton père et ta mère[, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre.] Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoit[eras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient] » (Ex 20, 1-17). Les Dix Commandements ci-dessus figurent également dans le Deutéronome (Deut 5, 6-21). |
3↑ | Ecce agnus, ecce qui tollit peccata mundi (« Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde ». Évangile selon Jean (Jn 1, 29 |
4↑ | Bien que non documentée, la provenance de la Grande Maestà pourrait, selon D. Sallay (SALLAY 2015, p. 152.), du fait de la présence conjointe de saints Dominicains et Cisterciens dans les pilastres, s’orienter vers l’ancienne église de Santa Maria Maddalena de la via Romana (Sienne), d’abord dominicaine, puis rénovée, en 1474-1477, par les moines cisterciens de l’Abbaye de San Galgano. Cette église, ne doit pas être confondue avec celle de Santa Maria Maddalena, près de la Porta Tufi, qui était la propriété de nonnes augustiniennes. Celle qui nous intéresse a été détruite en 1810 par Giulio Bianchi, propriétaire du Palazzo Bianchi Bandinelli, afin d’y réaliser le jardin à la française de son palais. Un inventaire du 15 novembre 1810 fait état d’une peinture dont la description très générale ne contredit cependant pas l’iconographie de la Grande Maestà : « altra simile [tavola] rappresenta la Vergine col Divin Bambino e diversi santi all’intorno » (« un autre [panneau] représentant la Vierge avec le Divin Enfant et différents saints tout autour »). Cet courte phrase incite Dora Sallay, que l’on est tenté de suivre, à imaginer que le retable pouvait se trouver dans l’église peu avant sa démolition. |
5↑ | C’est dans cette attitude, désignant le Messie caché parmi la foule, que Jean Baptiste est décrit par l’autre Jean, l’Évangéliste (Jn, 1, 29) : voir note précédente. |
6↑ | Giovanni di Paolo, Le Christ et les saints porteurs de croix, vers 1454-55. Tempéra et or sur panneau, 28 x 200 cm. Galerie Nationale de Parme. |
7↑ | Dóra SALLAY, « Giovanni di Paolo : Cristo e santi portacroce », La fortuna dei primitivi. Tesori d’arte dalle collezioni italiane fra sette e ottocento, ed. Angelo Tartuferi and Gianluca Tormen. (Exh. cat. Florence, Galleria dell’Accademia), Milano, Giunti, 2014, pp. 222–224, cat. 23. |
8↑ | POPE HENNESSY 1937, p. . |
9↑ | TORRITI 1977, p. 334. |
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.