Nicola Pisano, « Pulpito del Duomo di Siena »

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Nicola Pisano (env. 1210 – av. 1284)

Pulpito del Duomo di Siena (Chaire ou ambon [1]Ambon : « Sorte de chaire ou tribune, ordinairement en pierre ou en marbre, placée à l’entrée du chœur des basiliques chrétiennes et des cathédrales et à laquelle on accède par des marches pour y faire certaines lectures publiques ou liturgiques, notamment l’épître et l’évangile, ainsi que la prédication » (Portail lexical du Centre National de Ressources … Poursuivre de la Cathédrale de Sienne), 1265-1268.

Marbre, h. 460 cm.

Inscriptions [2]Dans la longue inscription qui court le long de la corniche inférieure du baptistère de Pise, Giovanni Pisano se proclame « sculpens in petra, ligno, auro splendida ». :

Provenance : In situ.

Sienne, Cathédrale de Santa Maria Assunta, Croisée du transept.

« Et salvo et intellecto, si Johannes filius ipsius magistri Nicholi venerit et de voluntate ipsius magistri Nicholi in predicto opere laborare voluerit, quod ipsum ibi stare et laborare permittet et patietur [3]« Et sain de corps et d’esprit, si Giovanni, fils du Maître Nicola, vient et souhaite travailler à l’œuvre susmentionnée selon la volonté de Maître Nicola lui-même, qu’il lui permettra de se tenir à ses côtés et d’y travailler, et le souffrira. » Citation extraite de : Giusta NICCO-FASOLA, Nicola Pisano, Rome, 1941, p. 211 ; reprise dans Antje … Poursuivre. » Cette phrase tirée du contrat stipulé entre Nicola Pisano et Fra’ Melano de Sienne [4]Fra’ Melano : moine cistercien de l’abbaye de San Galgano, operaio de la Cathédrale. Voir Pelèo BACCI, « Un altro capitolo inedito della vita di Giovanni Pisano », Le Arti, IV (1942), pp. 185-192 ; pp. 268-277 ; pp. 329-340 ; revu, corrigé et augmenté dans Documenti e commenti per la storia dell’arte con numerose illustrazioni, Florence, Le Monnier, 1947. pour la construction de la chaire de la cathédrale (1265) « marque, écrit Antje Middeldorf-Kosegarten, l’entrée de Giovanni Pisano dans l’histoire. Les Siennois lui ont permis de collaborer à la fabrication de la chaire s’il venait et était disposé à travailler selon les directives de Nicola. Il était également stipulé qu’il recevrait les deux tiers du “salaire des disciples” que son père recevrait en son nom, ce qui montre que Giovanni était encore jeune. » [5]Antje MIDDELDORF-ROSEGARTEN, op. cit., p. 36.

C’est sans doute en raison de la réussite exceptionnelle de la chaire du baptistère de Pise (fig. ci-dessous), et de la renommée immédiatement acquise par cette dernière, que Nicola Pisano reçoit en 1265 la commande d’un autre monument de ce type pour la cathédrale de Sienne. Il est assisté dans ce travail par son fils Giovanni, par le florentin Arnolfo di Cambio [6]Arnolfo di Cambio (Colle di Val d’Elsa, v. 1245 – Florence, entre 1302 et 1310) : architecte, sculpteur et peut-être également peintre. On peut supposer qu’il avait une vingtaine d’années quand il collabora avec le maître (auprès de qui il s’était formé) à l’exécution de la chaire de la cathédrale de Sienne. L’attribution à Arnolfo du … Poursuivre, ainsi que par ses frères Lapo et Donato. Cette seconde chaire, également sculptée dans le marbre de Carrare, et achevée en 1269, est plus ambitieuse encore que la précédente. [7]L’Archivio di Stato di Siena conserve le contrat par lequel le 29 septembre 1265, l’Opera del Duomo de Sienne commanda à Nicola Pisano l’exécution d’un ambon de marbre, que le grand architecte et sculpteur acheva en trois ans avec l’aide de son fils Giovanni et de ses élèves Arnolfo di Cambio et Lapo (Diplomatico Opera Metropolitana, 1265 septembre 29). La monumentale … Poursuivre

Nicola Pisano, Chaire du Baptistère de Pise, v. 1257-1260.

« Dans le courant de l’année 1532, la chaire fut […] déplacée, en grande partie dans son intégralité, là où elle se trouve encore aujourd’hui et Peruzzi dut s’occuper de la direction des travaux : on peut notamment supposer que c’est lui qui identifia avec une grande intelligence le site adapté pour supporter la majeure partie de la volumineuse structure de marbre. La chaire était en effet placée dans la zone nord de la croisée du transept, à la limite de deux travées, afin que son poids ne surcharge pas les surfaces de plancher affaissées des nefs, disposées au-dessus des vastes salles de la « crypte », qui n’a été remise au jour que récemment dans son intégralité. Et dans l’environnement de l’hypogée, on reconnaît également clairement l’arche massive qui, courant entre le pilier droit et le mur du fond (où elle est allée détruire des parties des épisodes du cycle pictural du XIIIe siècle représentant les Saintes femmes au sépulcre, la Déposition au sépulcre et le Christ dans les limbes), a pour tâche de soutenir la chaire au-dessus : une structure probablement conçue par Baldassarre [Peruzzi] et certainement à identifier avec « la volta dove s’a a pia[n]tare el pergolo » (« l’arche au-dessus de laquelle on doit poser la chaire ») achevée par le maître maçon Beltramo le 2 mars 1532, lorsqu’il reçut le paiement des travaux de l’Œuvre [de la Cathédrale]. Pour compléter la chaire du XIIIe siècle, un bel escalier en marbre a ensuite été ajouté en 1543, qui avait été sculpté avec virtuosité avec des motifs “à l’ancienne” par Bernardino di Giacomo, dit ’il Turco’, entre 1536 et 1539, probablement d’après un dessin du péruzzien Bartolomeo Neroni. Gageons que Baldassarre, mort à Rome en 1536, aurait apprécié une telle œuvre, tant pour les décors du trumeau (qui reprend le motif figuré d’acanthes et d’angelots à mi-corps dessiné par le maître dans la frise de « “ses” chaires), ainsi que pour la qualité de l’exécution qui, aux yeux de Leopoldo Cicognara [8]Leopoldo CICOGNARA, Storia della scultura dal suo risorgimento in Italia sino al secolo di Napoleone, II edizione, Prato, 1823–1825, III, 1823, p. 192. Le comte Leopoldo Cicognara (Ferrare, 1767 – 1834), homme politique italien, était aussi archéologue, historien et critique d’art., aurait paru ‘si parfaite […] que parmi les choses de l’âge d’or de l’antiquité, rien ne pouvait être vu de mieux exécuté’ » [9]G. FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena : un cartone dimenticato e qualche precisazione sugli altri disegni », dans Bollettino d’Arte, juillet-septembre 2010, p. 8..

La cuve

De plan octogonal, elle possède sept panneaux sculptés de bas-reliefs (le huitième côté de la cuve ne comporte pas de parapet afin de permettre l’accès à la chaire). Le programme iconographique des sept panneaux est consacré à des épisodes de l’histoire du Christ dans lesquels Marie, à qui est dédiée la Cathédrale, n’est jamais bien loin, ainsi qu’au Jugement Universel … Les colonnes plus sombres qui, à Pise, encadraient les panneaux, ont ici disparu au profit de figures sculptées dans le même marbre blanc et placées aux angles. Par ce moyen nouveau, évitant les ruptures liées aux encadrements visibles à Pise, le récit paraît continu et se déroule de manière plus fluide. Deux corniches soulignent la structure de l’ensemble. Richement sculptées d’un décor uniforme auquel s’ajoute, dans celle du bas, une ligne de marqueterie de verre églomisé discrète mais bien présente, elles ajoutent à la sensation d’unité ; incitant elles aussi à une lecture continue des récits, elles soulignent à deux reprises cette sensation nouvelle de continuité d’une scène à l’autre.

Sept épisodes bibliques sont représentés dans les bas-reliefs sculptés dans les différents compartiments. Entre les sept panneaux, se trouvent huit figures intermédiaires en pied.

Les huit figures en pied

  • A. Nicola Pisano, Annunziata
  • B. Nicola Pisano, San Paolo fra i discepoli Tito e Timoteo
  • C. Nicola Pisano, Madonna col Bambino
  • D. Nicola Pisano, Angeli musicanti
  • E. Nicola Pisano, Cristo mistico
  • F. Nicola Pisano, Tetramorfo
  • G. Nicola Pisano, Cristo giudice
  • H. Nicola Pisano, Angeli del Giudizio Universale

Les huit statuettes intercalées entre les différents compartiments du parapet représentent une nouveauté par rapport à la chaire de Pise [10]Dans la chaire du Baptistère de Pise, des groupes de trois colonnettes de marbre rouge séparent les différents compartiments du parapet sculptés de bas-reliefs. et jouent un rôle essentiel, tant sur les plans artistique que narratif : en articulant visuellement les différents panneaux sculptés de bas-reliefs qui, à Pise, étaient séparés par trois colonnettes, elles créent un effet de continuité inédit, tout en ajoutant des éléments liés sur un plan conceptuel, et chargés de parfaire le sens. Selon Guido Tigler, ces « figures intermédiaires entre un compartiment de marbre et l’autre » nous sont parvenues en désordre après le remontage de la chaire à son emplacement actuel au début du XVIe siècle. [11]Guido TIGLER, dans Mario LORENZONI, « Il pulpito di Nicola Pisano », Le sculture del Duomo di Siena, Milano, 2009, p. 125.. Le chercheur précise que, « à [son] avis, elles étaient dans l’ordre suivant, justifié aussi bien par leur relation conceptuelle avec les bas-reliefs contigus que l’article l’exigence d’orienter vers les laïcs les deux pupitres, parmi lesquels celui pour les Évangiles devait toujours être orienté vers le nord, comme l’imposaient les normes liturgiques romaines suivies également en Toscane : 1) Ange de Berlin ; 2) Vierge de l’Annonciation suivie de Visitation et Nativité ; 3) Vierge à l’Enfant, liée, d’un point de vue conceptuel, aux scènes de l’enfance de Jésus ; 4) groupe du Tétramorphe soutenant le pupitre qui, de cette manière, était orienté vers l’ouest et pouvait être vu de profil aussi bien par les chanoines qui se trouvaient dans le chœur que par les laïcs installés dans l’aire occidentale du Duomo ; 5) groupe de Saint Paul entre Tite et Timothée supportant le pupitre prévu pour la lecture des Épîtres, plus directement orienté vers le peuple ; 6) le Christ mystique, allusion au thème du sacrifice eucharistique, entre le Massacre des Innocents et la Crucifixion, se substituant presque à l’absence de la Dernière Cène ; 7) les Anges du Jugement à gauche des élus ; 8) le Christ juge entre les deux compartiments du Jugement ; 9) les Anges du Jugement, à droite des Damnés ».

Les arches

Huit arches trilobées, prennent appui sur huit colonnes. Dans les écoinçons de ces arches figurent des couples de personnages, tous masculins. Il s’agit :

  • de Prophètes
  • des quatre Évangélistes ; chacun de ces derniers est représenté par son attribut symbolique respectif :
    • l’ange pour Matthieu
    • le lion ailé pour Marc
    • le taureau pour Luc
    • l’aigle pour Jean

La Sibilla

Au-dessus des chapiteaux de chaque colonne, se trouvent sept figures, la plupart du temps assises, toutes féminines, qui personnifient sept Vertus, parmi lesquelles :

  • les trois Vertus théologales :
    • Foi (« FIDES EST SUBSTANTIA RERUM SPERANDARUM ARGUMENTUM NON APARENTIUM. » (Hébreux 11, 1).
    • Espérance
    • Charité
  • les quatre Vertus cardinales :
    • Force
    • Tempérance
    • Justice
    • Prudence
  • une huitième figure, rendue indispensable compte tenu du nombre total de colonnes, représente la Logique, dont la présence rappelle la conviction ultime que certaines expressions de l’intellect humain pourraient être en mesure d’élever le genre humain jusqu’à Dieu
Les colonnes

La cuve proprement dite et son support reposent sur huit colonnes avec chapiteaux : quatre de ces colonnes sont posées directement sur le socle du monument [12]Comme l’indique le style donné à la base de la chaire, celle-ci a été ajoutée au XVIe s., à l’occasion du déplacement du monument d’un côté à l’autre de la croisée du transept. tandis les quatre autres sont en appui, alternativement, sur le dos de lions et de lionnes stylophores, symboles de la victoire du Christ sur le Mal (les deux lions s’apprêtent à dévorer leur proie) initiant l’ère du Bien (les deux femelles nourrissent et protègent leurs petits). Ainsi, les lions supportent-ils le monument depuis lequel la parole du Christ est proclamée.

La base de la colonne centrale est, quant à elle, ceinte de figures des arts libéraux :

  • la Grammaire : un jeune garçon lisant un livre sur le genoux d’une femme qui le guide du doigt
  • la Dialectique : une vieille femme savante au visage ridé
  • la Rhétorique : une femme pointant vers le livre
  • la Philosophie : une femme vêtue de vêtements richement ornés et tenant une torche
  • l’Arithmétique : une femme comptant sur ses doigts
  • la Musique : une femme jouant de la cithare
  • l’Astronomie : une savante tenant un astrolabe [13]Astrolable : Instrument astronomique d’observation et de calcul analogique aux fonctions multiples : il permet notamment de mesurer la hauteur des étoiles, dont le soleil, et ainsi de déterminer l’heure de l’observation et la direction de l’astre. Sa conception, dont les origines grecques remontent à l’Antiquité, bien plus tard perfectionnée par les … Poursuivre

Les colonnes d’origine ont été remplacées en 1329. Lorsque, au XVIe siècle, après avoir occupé initialement un espace plus à droite (du côté sud) sous la coupole, la chaire a été définitivement installée à l’emplacement qu’elle occupe encore actuellement, à proximité d’une colonne de la croisée du transept, l’ajout d’un socle, qui n’existait pas dans le projet de Pisano, a permis de la surélever afin de garantir une plus grande visibilité de l’ensemble depuis la nef.

La chaire de la Cathédrale de Sienne montre à quel point Nicola Pisano est parvenu à s’adapter au goût siennois en matière de narration, d’ornementation et de paysage : dans ces bas-reliefs, fourmille une foule de personnages et de détails qui viennent saturer l’espace de la représentation. Un facteur important doit être envisagé pour prendre la mesure des écarts qu’il est possible de constater entre la chaire de Pise et celle de Sienne, et, par voie de conséquence, la nouveauté de cette dernière : ce facteur tient au rôle joué par Giovanni, fils de Nicola, ainsi que par les assistants et l’atelier, rôle rendu indispensable pour pouvoir réaliser en trois ans un monument d’une telle ampleur. Le dispositif de composition propre à chaque panneau montre à quel point les sculpteurs ont attentivement regardé les sarcophages romains, observation qui, à l’évidence, les a profondément inspiré et très certainement stimulés. À Sienne, la composition des panneaux narratifs est d’une grande nouveauté. Comme dans leurs sources empruntées  à l’antiquité romaine tardive, les panneaux sculptés alignent des rangées serrées de personnages placés les uns contre les autres afin de suggérer la profondeur, tout en évitant de laisser le moindre vide (comme si l’idée même du vide était un sujet d’effroi). La dimension des surfaces travaillées, comme la plus grande quantité de personnages figurés, de même que la profondeur des forages effectué à l’aide de trépans, et la présence de « ponts [14]« Pont » : en sculpture, petit morceau de pierre sculptée dans la masse pour garantir la solidité, servant, par exemple, à relier une tête au support de pierre tout en l’en éloignant en vue de créer davantage de relief. » sont également autant de signes de l’admiration vouée au modèles romains. Grâce à l’observation de ces modèles, cités avec une extraordinaire liberté d’expression, le sentiment de vie et de mouvement, parfois une certaine violence, et l’émotion qui en résulte, semblent accrus.

Les ornements de verre églomisé

La chaire de Nicola Pisano’s et l’Arca di San Domenico (Bologne, 1264–1267) du même sculpteur, sont deux des premiers monuments italiens d’importance à incorporer de petits morceaux de verre églomisé. Nicola a sans doute trouvé le medium efficace puisqu’il l’utilise à deux reprises dans une très courte période. Les verres que l’on voit sur la chaire de la cathédrale de Sienne sont ornés de motifs floraux insérés dans les écoinçons trilobés ou courent le long de la base des panneaux de marbre historiés. Contrairement à l’Arca de Bologne où il emploie du pigment rouge, Nicola n’utilise ici que de la peinture noire pour faire adhérer la feuille d’or au verre. La quantité de verre présente dans la chaire est également beaucoup plus limitée : contrairement, une fois encore, à Bologne, Nicola ne couvre pas de verres colorés le fond des bas-reliefs. Cette différence de traitement du verre églomisé s’explique si l’on considère la fonction particulière de chacune des deux structures. A Bologne, l’or est un matériau particulièrement approprié pour orner un monument dans lequel s’exprime une convergence entre le ciel et la terre. Son abondance et ses effets lumineux ne peuvent qu’en renforcer l’évidence. A Sienne, les prêtres sont appelés à monter sur le monument pour s’adresser à l’assemblée et lire l’Évangile ou les Épîtres. Sa hauteur et sa visibilité en fait également l’endroit idéal pour exposer la précieuse collection de reliques de la Cathédrale. Anita Moskowitz, dans sa discussion sur l’utilisation de la chaire à cet effet [15]Anita FIDERER MOSKOWITZ, Nicola Pisano’s Arca Di San Domenico and Its Legacy, Pennsylvania State University Press, 1994, p. 21., note que les reliques de saint Ranierus étaient exposées depuis une chaire dans la cathédrale de Pise en 1161. Ainsi, comme le tombeau de saint Dominique à Bologne, la chaire de Sienne pourrait avoir, elle aussi, été associée aux reliques et « justifierait donc un usage similaire du verre églomisé. Cependant, comme la fonction principale de la chaire était la prédication et la lecture de l’évangile, l’utilisation du médium a été considérablement réduite. » [16]Sarah M. DILLON, Seeing Renaissance Glass. Art, Optics, and Glass of Early Modern Italy, 1250–1425, New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Vienne, Oxford, Varsovie, Peter Lang Publishing Inc, 2018, pp. 55-62. En ornant l’œuvre de verre églomisé, Nicola Pisano suit aussi l’exemple des premiers chrétiens romains, une source artistique, comme on le sait, qu’il appréciait hautement.

Le déplacement de la chaire au XVIE S.

En 1506, le ‘magnifico’ Pandolfo Petrucci entreprend la réalisation d’un projet de rénovation qui devait aboutir trente ans plus tard à un bouleversement complet de l’espace sacré que l’on appelle presbiterio en Italie, et à laquelle les Français donnent le nom de « chœur ». Imposant notamment le déplacement de la Maestà de Duccio et la destruction du chœur des chanoines qui se trouvait à l’arrière, ce projet visait à construire un nouveau maître-autel destiné à accueillir le ciboire de bronze du Vecchietta soustrait à l’Hôpital voisin de Santa Maria della Scala [17]Il est vraisemblable que le projet ait été initié par Francesco di Giorgio Martini avant sa disparition en 1501, comme « le laisse entendre une délibération, en date du 23 juin 1506, des officiels de la Balìa di Siena (siège du véritable pouvoir exécutif de la cité (Gabriele FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena: un cartone dimenticato e qualche … Poursuivre. La réorganisation de l’espace du chœur prévoyait le reculement de l’emplacement du maître-autel et aboutit à déplacer également le “grandiose complexe sculpté du XIIIe s.” en arrière de sa position originaire sous la coupole [18]C’est à cette occasion que Peruzzi étudia la possibilité de moderniser la chaire de Pisano, comme le montre le splendide dessin du Projet pour la chaire de la Cathédrale de Sienne (Londres, British Museum).. Ce n’est qu’au cours de l’année 1532 que la chaire fut déplacée, « substantiellement dans son intégrité [19]Gabriele FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena. Un cartone dimenticato e qualche precisazione sugli altri disegni », dans Bollettino d’arte, Vol. 95, Nº. 7, 2010, pp. 6-22.  ».

C’est également au XVIe s., en 1543, que le précieux escalier sculpté par Bernardino di Giacomo a remplacé l’escalier initial (en réalité, probablement une échelle de bois aujourd’hui perdue).

Auteur non identifié (Pietro di Francesco Orioli ?), « L’unione delle classe e l’offerta delle chiavi della città alla Vergine » (« L’union des classes et l’offrande des clés de la cité à la Vierge »), 1483. Détail d’une tablette de Biccherna. La silhouette de l’ambon couvert de sa draperie noire apparaît sur la gauche de l’image.

Une tablette de Biccherna conserve la mémoire de l’ancien dispositif qui organisait la liturgie célébrée à l’intérieur de la Cathédrale au Quattrocento. La scène représentée est celle de la cérémonie symbolique de remise des clés de la cité à la Vierge. Après une période de troubles politiques, les différents partis (les « Monti » ou « Ordini ») acceptent, sous la pression populaire, de s’unifier et de fusionner en un seul parti, le « Monte del Popolo ». L’événement se passe devant l’autel de la « Madonna delle Grazie » (plus tard appelée « Madonna del Voto »), en présence du cardinal-archevêque Francesco Todeschini Piccolomini (neveu de Pie II et futur Pie III), et des représentants des principales factions politiques. L’acte solennel devant l’autel où la Vierge, semblant surgir du cadre du retable, reçoit les clés qui lui sont offertes et bénit l’assemblée. Un concert accompagne la cérémonie : les chantres, dernière un pupitre, sont en pleine action, au centre de l’image, et les musiciens (qu’on devine à peine) jouent la partie instrumentale depuis le fond de la chapelle. Cette œuvre permet aussi de reconstituer l’organisation interne de la cathédrale et la localisation de quelques-unes des plus célèbres œuvres qu’elle contient encore. Ainsi, outre la chaire de Nicola Pisano, recouverte de draperies noires (elle n’était découverte que lors des célébrations les jours de fête [20]Guido TIGLER, « Il pulpito di Nicola Pisano », dans Mario LORENZONI, op. cit., p. 125. ), située à droite de la croisée du transept [21]Elle a été, depuis, déplacée à gauche., on reconnaît :

  • Le Crucifix dit de Montaperti, accroché au dessus d’un autel du collatéral droit [22]Le Crucifix de Montaperti est aujourd’hui visible dans le bras gauche du transept..
  • Quelques-unes des lourdes statues d’apôtres placées contre les piliers du vaisseau central. Celles-ci ont d’abord été transférées à l’extérieur du Duomo, où elles ont été remplacées par de nouvelles sculptures [23]Les douze apôtre sculptés au XVIIe s. par Giuseppe Mazzuoli (Volterra, 1643 – Rome, 1725) ont été vendues au XIXe s. Elles sont aujourd’hui conservées au Brompton Oratory de Londres.. Dorénavant, elles sont conservées dans une salle du Museo dell’Opera del Duomo.
  • Le vitrail de Duccio fermant l’oculus percé dans la paroi du fond de l’abside.
  • La grandiose Maestà, du même Duccio, à la place d’honneur sur le maître-autel et surmontée d’un baldaquin(emplacement qu’elle n’occupe plus depuis le début du XVIe s.).

Notes

Notes
1 Ambon : « Sorte de chaire ou tribune, ordinairement en pierre ou en marbre, placée à l’entrée du chœur des basiliques chrétiennes et des cathédrales et à laquelle on accède par des marches pour y faire certaines lectures publiques ou liturgiques, notamment l’épître et l’évangile, ainsi que la prédication » (Portail lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) ; « Deux meubles importants étaient placés dans le chœur des basiliques : on les nommait ambons, ambones ; ils servaient, l’un aux lectures, l’autre aux prédications ». (Albert LENOIR, Architecture monastique, t. 1, Paris, Imprimerie Impériale, 1852, p. 189).
2 Dans la longue inscription qui court le long de la corniche inférieure du baptistère de Pise, Giovanni Pisano se proclame « sculpens in petra, ligno, auro splendida ».
3 « Et sain de corps et d’esprit, si Giovanni, fils du Maître Nicola, vient et souhaite travailler à l’œuvre susmentionnée selon la volonté de Maître Nicola lui-même, qu’il lui permettra de se tenir à ses côtés et d’y travailler, et le souffrira. » Citation extraite de : Giusta NICCO-FASOLA, Nicola Pisano, Rome, 1941, p. 211 ; reprise dans Antje MIDDELDORF-ROSEGARTEN, « Nicola e Giovanni Pisano 1268-1278 », Jahrbuch der Berliner Museen, XI, 1969, pp. 36-80.
4 Fra’ Melano : moine cistercien de l’abbaye de San Galgano, operaio de la Cathédrale. Voir Pelèo BACCI, « Un altro capitolo inedito della vita di Giovanni Pisano », Le Arti, IV (1942), pp. 185-192 ; pp. 268-277 ; pp. 329-340 ; revu, corrigé et augmenté dans Documenti e commenti per la storia dell’arte con numerose illustrazioni, Florence, Le Monnier, 1947.
5 Antje MIDDELDORF-ROSEGARTEN, op. cit., p. 36.
6 Arnolfo di Cambio (Colle di Val d’Elsa, v. 1245 – Florence, entre 1302 et 1310) : architecte, sculpteur et peut-être également peintre. On peut supposer qu’il avait une vingtaine d’années quand il collabora avec le maître (auprès de qui il s’était formé) à l’exécution de la chaire de la cathédrale de Sienne. L’attribution à Arnolfo du projet de la première phase des travaux de Cathédrale de Santa Maria del Fiore, à Florence, se trouve confirmée par un acte du 1er avril 1300, par lequel le Conseil des Cent exonérèrent d’impôt « magistrum Arnulphum de Colle filium olim Cambii » au vu du fait « quod idem magister (…) est capudmagister laborerii et operis ecclesie Beate Reparate maioris ecclesie Florentine, et quod (…) per ipsius industriam, experientiam et ingenium comune et populus Florentie ex magnifico et visibili principio dicti operis ecclesie iamdicte inchoacti per ipsum magistrum Arnulphum habere sperat venustius et honorabilius templum aliquo alio quod sit in partibusTuscie » (Cesare GUASTI, Santa Maria del Fiore. La costruzione della chiesa e del campanile secondo i documenti tratti dall’Archivio dell’Opera Secolare e da Quello di Stato, Florence, 1887, doc. 24 (reprint Nabu Press, 2012).
7 L’Archivio di Stato di Siena conserve le contrat par lequel le 29 septembre 1265, l’Opera del Duomo de Sienne commanda à Nicola Pisano l’exécution d’un ambon de marbre, que le grand architecte et sculpteur acheva en trois ans avec l’aide de son fils Giovanni et de ses élèves Arnolfo di Cambio et Lapo (Diplomatico Opera Metropolitana, 1265 septembre 29). La monumentale structure fut installée dans la partie située à droite de l’espace au-dessus duquel s’élève la coupole, comme on peut le voir dans une tablette de Biccherna (Offerta delle chiavi della città alla Vergine), recouvert d’une draperie noire. L’ambon fut déplacé en 1506. À cet effet, il fallu le démonter entièrement et son remontage ne devînt effectif qu’en 1543 (le monument demeura près de trente ans à l’état de pièces détachées avant de subir quelques diminutions dues à son remontage).
8 Leopoldo CICOGNARA, Storia della scultura dal suo risorgimento in Italia sino al secolo di Napoleone, II edizione, Prato, 1823–1825, III, 1823, p. 192. Le comte Leopoldo Cicognara (Ferrare, 1767 – 1834), homme politique italien, était aussi archéologue, historien et critique d’art.
9 G. FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena : un cartone dimenticato e qualche precisazione sugli altri disegni », dans Bollettino d’Arte, juillet-septembre 2010, p. 8.
10 Dans la chaire du Baptistère de Pise, des groupes de trois colonnettes de marbre rouge séparent les différents compartiments du parapet sculptés de bas-reliefs.
11 Guido TIGLER, dans Mario LORENZONI, « Il pulpito di Nicola Pisano », Le sculture del Duomo di Siena, Milano, 2009, p. 125.
12 Comme l’indique le style donné à la base de la chaire, celle-ci a été ajoutée au XVIe s., à l’occasion du déplacement du monument d’un côté à l’autre de la croisée du transept.
13 Astrolable : Instrument astronomique d’observation et de calcul analogique aux fonctions multiples : il permet notamment de mesurer la hauteur des étoiles, dont le soleil, et ainsi de déterminer l’heure de l’observation et la direction de l’astre. Sa conception, dont les origines grecques remontent à l’Antiquité, bien plus tard perfectionnée par les arabes, s’appuie sur une projection plane de la voûte céleste et de la sphère locale, dite projection stéréographique.
14 « Pont » : en sculpture, petit morceau de pierre sculptée dans la masse pour garantir la solidité, servant, par exemple, à relier une tête au support de pierre tout en l’en éloignant en vue de créer davantage de relief.
15 Anita FIDERER MOSKOWITZ, Nicola Pisano’s Arca Di San Domenico and Its Legacy, Pennsylvania State University Press, 1994, p. 21.
16 Sarah M. DILLON, Seeing Renaissance Glass. Art, Optics, and Glass of Early Modern Italy, 1250–1425, New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Vienne, Oxford, Varsovie, Peter Lang Publishing Inc, 2018, pp. 55-62.
17 Il est vraisemblable que le projet ait été initié par Francesco di Giorgio Martini avant sa disparition en 1501, comme « le laisse entendre une délibération, en date du 23 juin 1506, des officiels de la Balìa di Siena (siège du véritable pouvoir exécutif de la cité (Gabriele FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena: un cartone dimenticato e qualche precisazione sugli altri disegni », dans Bollettino d’Arte, juillet-septembre 2010, p. 8.) » dans un projet dont, cependant, on ignore tout. Il est probable, selon Fattorini (Gabriele FATTORINI, op. cit., p. 10.) que Baldassarre Peruzzi, véritable “héritier spirituel” de Francesco di Giorgio, n’en ait eu vent que lorsqu’il fut appelé à assumer la direction de la modernisation de la tribune de l’abside de la Cathédrale.
18 C’est à cette occasion que Peruzzi étudia la possibilité de moderniser la chaire de Pisano, comme le montre le splendide dessin du Projet pour la chaire de la Cathédrale de Sienne (Londres, British Museum).
19 Gabriele FATTORINI, « Baldassarre Peruzzi e la tribuna del Duomo di Siena. Un cartone dimenticato e qualche precisazione sugli altri disegni », dans Bollettino d’arte, Vol. 95, Nº. 7, 2010, pp. 6-22.
20 Guido TIGLER, « Il pulpito di Nicola Pisano », dans Mario LORENZONI, op. cit., p. 125.
21 Elle a été, depuis, déplacée à gauche.
22 Le Crucifix de Montaperti est aujourd’hui visible dans le bras gauche du transept.
23 Les douze apôtre sculptés au XVIIe s. par Giuseppe Mazzuoli (Volterra, 1643 – Rome, 1725) ont été vendues au XIXe s. Elles sont aujourd’hui conservées au Brompton Oratory de Londres.

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