Enguerrand Quarton, « Le couronnement de la Vierge »

Enguerrand Quarton (« Diocèse de Laon » [1]Dans l’acte de 1452, Enguerrand précise lui-même le lieu de sa naissance non pas à Laon même, mais dans le diocèse de cette ville du nord de la France., 1412 ou 1415 – Avignon, 1466)

Le couronnement de la Vierge, 1453-1454.

Détrempe sur toile marouflée sur panneau [2]Selon l’article 24 du prix-fait (voir plus bas), l’œuvre devait être peinte de fines couleurs d’huile. Enguerrand Quarton a cependant utilisé la technique de la détrempe à l’œuf., 183 x 220 cm.

Inscriptions [3]Dans la peinture siennoise, nous sommes accoutumés à voir inscrites sur des phylactères les paroles prononcées par les personnages. Ici, sauf exception, elles semblent sortir directement de la bouche de ceux-ci. :

  • (en bas à gauche, paroles prononcées par Dieu dans le buisson) : « Moyses Moyses » [4]« [Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit :] Moïse ! Moïse ! » (Ex 3, 4).
  • (sur le tombeau du Christ) : « Sepulcrum D[o]m[ini] » [5]« Le Tombeau de Notre Seigneur. »
  • (sur le tombeau de la Vierge) : « Momument[um] Beate Mariae » [6]« Monument [Tombeau] de la Bienheureuse Marie. »
  • (paroles prononcée par l’ange assis sur le tombeau de la Vierge) : « Assumpta est Maria » [7]« Assumpta est Maria [ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio] »(« La Vierge Marie a été emmenée dans une chambre céleste  où le Roi des rois est assis sur un trône étoilé »). Offertoire pour l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, René-Jean Hesbert, Corpus antiphonalium Officii, n° 3707.
  • (à droite au sommet de l’œuvre, sur le phylactère de l’archange Gabriel) : « Ave gratia plena dominus tecum » [8]Évangile selon Luc (1, 28).

Provenance : autel de la chapelle de la Sainte-Trinité de l’église des chartreux [9]Il s’agit de la chapelle située à droite du chœur, où se trouve encore le tombeau du pape Innocent VI, fondateur de la chartreuse., chartreuse Notre-Dame du Val de Bénédiction, Villeneuve-lès-Avignon.

Villeneuve-lès-Avignon, musée Pierre-de-Luxembourg.

En 1889, un document inédit a été découvert dans les archives notariales du Vaucluse par le chanoine Requin [10]Chanoine REQUIN, « Documents inédits sur les peintres, peintres-verriers et enlumineurs d’Avignon au quinzième siècle », dans Réunion des sociétés des beaux-arts, du 11 au 15 juin 1889, 13e session, typographie de E. Plon, Nourrit & Cie, Paris, 1889, p. 118-217, mise en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206208p/f121.item : il s’agit du prix-fait du retable, autrement dit, du contrat [11]La rédaction de ce type de document, visant à contractualiser la commande d’une œuvre d’art, était commune à cette époque. Ce qui est exceptionnel dans le cas du Couronnement de la Vierge, c’est la longueur extrême du texte et l’étonnante précision des détails fournis à (et par) l’artiste du point de vue iconographique. En 1889, la découverte du document a … Poursuivre « passé par-devant notaire entre le commanditaire, Jean de Montagnac, “chapelain” de l’église de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et chanoine de la collégiale Saint-Agricol d’Avignon, et l’artiste, Enguerrand Quarton, le 24 avril 1453, détaille minutieusement le programme iconographique de l’œuvre. [12]« Le sujet est minutieusement, précisé, mais cette mise en forme est réservée à l’artiste. Le thème principal est le couronnement de la vierge par la Sainte Trinité. Toute la cour, Céleste doit l’accompagner, les anges, les apôtres, les prophètes, les saints et les élus de toutes condition. Plus bas sera « le monde » où l’on verra les villes de Rome et de … Poursuivre en français, dont certaines expressions picardes (« autier » pour autel, « chiel » pour ciel) trahissent l’intervention du carton. » [13]Charles STERLING, Enguerrand QuartonLe peintre de la « Pieta » d’Avignon, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1983, p. 37.

PACTUM PINGENDO en date du 24 avril 1453 signé « dans la boutique d’épicerie sise dans l’habitation de messire Jehan de Bria, épicier, citoyen d’Avignon, en présence de Jehan lui-même et du seigneur Guillaume Guy, prêtre, chanoine de l’église Saint Agricol d’Avignon, témoins, etc. Et devant moi, Jean Morel, etc. » entre maître Enguerrand Quarton et messire Jean de Montagnac.

PACTUM DE PINGENDO UNUM RETABULUM PRO DOMINO JAOHANNE MONTANHAC PRESBITERO [14]Archives départementales de Vaucluse, Avignon, Protocole du notaire Jean Morelli. Fonds de Me Giraud-Martin. Registre 805, fds 48-51. 1453, 24 avril.

••••••Texte original (latin et ancien français)Texte en français moderne
Die XXIIIIa aprilis (1453), magister Enguerandus Quarton, diocesis Laudunensis, pictor, habitator Avinionis pactum fecit et conventionem dicto domino Johanni Montanhacii, presenti, stipulanti et recipienti, de pigendo unum retabulum sub modo, forma et comprehensione contentis et expressis in quadram papiri cedula articulata quam michi tradinerunt in romancio scriptam, cujus tenor sequitur et est talis :Le 24 avril 1453, Maître Enguerrand Quarton, du diocèse de Laon, peintre et habitant d’Avignon a établi pacte et convention avec le seigneur Jean de Montagnac, ici présent, pour peindre un retable dont la forme et tout ce qui le compose a été détaillé point par point sur papier, écrit en langue française, et dont s’ensuit le contenu :
S’ensuit l’ordonnance du retable que messire Jean de Montagnac, chappellain, fait faire par maistre Enguerrant paintre pour mettre en l’église des Chartreux de Villeneufve lez Avignon en l’autier de la sainte Trinité.Suit la composition du retable que Messire Jean de Montagnac a fait faire par le peintre Maître Enguerrand et que l’on mettra à l’église des chartreux de Villeneuve-lès-Avignon, sur l’autel de la Sainte Trinité
§ 1Premièrement y doit estre la forme de paradiz, et en ce paradiz doit estre la sainte trinité, et du père au filz ne doit avoir nulle difference, et le saint esperit en forme d’une columbe, et notre dame devant, selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand ; à laquelle Notre Dame la Sainte Trinité mettra la couronne sur la teste ;Premièrement, doit figurer le paradis et dans ce paradis on doit voir la Sainte Trinité, sans aucune différence entre le Père et le Fils ; Le Saint-Esprit doit avoir la forme d’une colombe avec Notre Dame devant, placé comme il semblera préférable à Maître Enguerrand, la Sainte Trinité mettra la couronne sur la tête de Notre Dame.
§ 2Item, les vestements doivent estre riches ; celui de Notre Dame doit estre de drap de Damas blanc figuré selon l’adviz dudit maistre Enguerrand, et alentour de la Sainte Trinité doivent estre cherubins et seraphins ;Item, les vêtements doivent être riches ; celui de Notre Dame devra être de drap en damas blanc représenté en suivant l’avis de Maître Enguerand ; tout autour de la Sainte Trinité devront être peints des chérubins et des séraphins.
§ 3Item, du cousté de Notre Dame doit estre l’ange Gabriel avec certaine quantités d’anges, et de l’autre cousté, Saint Michiel, aussi avec aucune quantité d’anges, selon qu’il semblera mieux audit maistre Enguerrand ;Item, d’un côté de Notre Dame doit être l’ange Gabriel avec un groupe d’anges et de l’autre côté saint Michel avec un même nombre d’anges, selon la disposition qui semblera le mieux à maître Enguerrand.
§ 4Item, de l’autre part, Saint Jean Baptiste aux autres patriarches et prophètes, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand ;
Item, de l’autre côté Saint Jean-Baptiste et les d’autres patriarches et prophètes, disposés comme il plaira à Maître Enguerrand.
§ 5Item, du cousté droit doivent estre Saint Pierre et Saint Pol avec certaine quantité d’autres apostres ;Item, du côté droit, doivent être peints saint Pierre et saint Paul avec un groupe d’apôtres.
§ 6Item, cousté Saint Pierre doit estre ung pape martir auquel l’ange tiendra la tiare sur la teste, ensemble saint Estienne et saint Laurens en habit de dyacres cardinaulx, avec aussi d’autres saints martirs a l’ordonnance dudit maistre ;Item, à côté de saint Pierre doit figurer un Pape martyr auquel un ange tiendra la tiare sur la tête, avec dans le même groupe, saint Étienne et saint Laurent en habits de cardinal diacre, ainsi que d’autres saints martyrs, suivant le choix de Maître Enguerrand.
§ 7Item, du cousté Saint lehan Baptiste seront les confesseurs c’est assavoir saint Grégoire en la forme d’un pape comme dessus, avec deux saints cardinaulx, ung vieil et ung jeune, et saint Agricol et saint Hugue evesques, saint Hugue en habit de chartreux, et autres sains selon l’adviz dudit maistre Enguerrand ;Item, à côté de saint Jean-Baptiste seront les confesseurs, à savoir saint Grégoire sous les traits d’un pape comme ci-dessus et deux saints cardinaux, un vieux, l’autre jeune, ainsi que saint Agricol et saint Hughes en évêques (saint Hugues en habits de chartreux), et d’autres saints selon l’avis de maître Enguerrand.
§ 8Item, du cousté saint Pierre doit estre sainte Caterine avec certaines autres vierges selon l’adviz dudit maistre Enguerrad ;Item, à côté de saint Pierre doit être figurée sainte Catherine avec un groupe d’autres vierges, au gré de maître Enguerrand.
§ 9Item, la part saint Jehan Bapitiste la Magdelene et les deux Maries Jacoli (sic) et Salome, chacune d’icelles tenant ès mains ce que tenir y doit, ensemble autres vefves selon adviz dudit maistre Enquerrand ;Item, le groupe de saint Jean-Baptiste, la Madeleine et les deux Marie-Jacobé et Marie-Salomé, chacune avec ce qu’elles doivent avoir dans les mains, avec d’autres veuves, suivant l’avis de maître Enguerrand.
§ 10Item, doit avoir en paradis dessudit de tous estas du monde à l’ordonnance dudit mestre Enguerrand ;Item, il doit y avoir dans le Paradis tous les états du monde au gré de maître Enguerrand.
§ 11Item, dessus ledit paradiz doit estre le chiel auquel sera le soleil et la lune selon l’adviz dudit maistre Enguerrand ;Item, sous le Paradis il doit y avoir le ciel avec le soleil et la Lune selon le choix de maître Enguerrand.
§ 12Item, après le ciel, le monde ou quel se doit monstrer une partie de la cité de Romme ;Item, dessous le ciel, le monde où l’on doit voir une partie de la cité de Rome.
§ 13Item, du costé du soleil couchant doit estre la forme de l’église Saint Pierre de Romme, et devant ladicte eglise a l’issue a une pome de ping de cuivre, et d’ilec on descend par grans degrez en une grande place tirant au pont Sainte Ange ;Item, en direction du soleil couchant, doit être représentée l’église Saint-Pierre de Rome et, devant l’église, une pomme de pin en cuivre, et de là on descend par de grands escaliers, vers une grande place donnant sur le pont Saint-Ange.
§ 14Item, du cousté senestre de ladicte place a une partie de la muraille de Romme, et de l’autre cousté sont maisons et boutiques de toutes manières de gens ; au bout de ladicte place est le castel Saint Ange et ung pont sur le Timbre qui tire en ladicte cité de Romme ;Item, on voit du côté gauche de la place, une partie de la muraille de Rome et de l’autre côté sont figurées des maisons et des boutiques avec toutes sortes de gens ; au bout de la place se trouve le château Saint-Ange et un pont sur le Tibre qui coule en ladite cité de Rome.
§ 15Item, en ladicte cité a beaucoup d’eglises, en les-quelles est l’eglise Sainte Croix de Jherusalem, où sainct Gregoire célébra et lui apparut Notre Seigneur en forme de pitié, en laquelle église sera painte l’istoire selon l’ordonnance dudit maistre Enguerrat, en laquelle ystoire sera saint Hugue chartreux assistant audit saint Gregoire avec autres prelatz selon l’adviz dudit maistre Enguerrand ;Item, dans cette cité se trouveront beaucoup d’églises, parmi lesquelles l’église Sainte-Croix de Jérusalem où saint Grégoire célébra [la messe] au cours de laquelle lui apparut Notre Seigneur souffrant. L’histoire sera peinte selon l’ordonnance du maître Enguerrand, et dans cette histoire sera représenté saint Hugues chartreux assistant saint Grégoire, ainsi que d’autres prélats, suivant l’avis de maître Enguerrand.
§ 16Item, au partir de Romme se doit monstrer le Timbre entrant en la mer, et en la mer aura certaine quantité de galées et navires ;Item, au sortir de Rome, on doit montrer le Tibre rejoignant la mer et sur cette mer il y aura des galères et des navires.
§ 17Item, outre la mer sera une partie de Iherusalem : premièrement, le mont olivet où sera la Croix Nostre Seigneur et au pié d’icelle aura un priant chartreux, et un poy loing sera là le monument Nostre Seigneur et ung ange dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum ;Item, de l’autre côté de la mer il y aura une partie de Jérusalem avec d’abord le Mont des Oliviers, ou sera la croix de Mon Seigneur, avec au pied de la croix un chartreux en prière, plus loin le tombeau de Mon Seigneur, avec un ange au-dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum. [15]« Il est ressuscité, il n’est plus ici, voici le lieu ou ils l’on déposé » (Mc 16, 6).
§ 18Item, au pié du monument seront deux prians : du cousté droit la valee de Josaphat entre deux montaignes, en laquelle valee a une eglise où est le monument de Nostre Dame et ung ange dessus en disant : Assumpta est Maria ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio ; et au pié d’icellui monument, ung priant ; Item, au pied du tombeau, seront deux personnages en prière ; du côté droit, la vallée de Josaphat entre deux montagnes et dans cette vallée, une église où est le tombeau de Notre Dame, avec un ange disant : Assumpta est Maria ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio [16]« Marie est montée au séjour céleste où le Roi des Rois siège sur un parterre d’étoiles » Offertoire pour l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie (15 août). René-Jean Hesbert, Corpus antiphonalium Officii, nr. 1503 et au pied du tombeau un personnage en prière.  
§ 19Item, du costé senestre aura une valée en laquelle seront troiz persones toutes d’un eaige ; de toutes troiz partira raix de soleil, et là sera Abraham saillant de son tabernacle et adorant lesdictes troiz personnes et disant : Domine, si inveni gratiam in oculis tuis, ne transeas servum tuum sed afferam paululum aque et laventur pedes vestris ; Item du côté gauche, il y aura une vallée où seront trois personnages tous de même âge ; de tous trois partira un rayon de soleil, et là sera Abraham sortant de son tabernacle pour adorer les trois personnages en leur disant : Domine, si inveni gratiam in oculis tuis, ne transeas servum tuum sed afferam paululum aque et laventur pedes vestris. [17]« Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne chasse pas ton serviteur, assieds-toi et j’apporterai un peu d’eau pour laver tes pieds » (Gn 18,3-4).
§ 20Item, en la seconde montaigne sera Moyses avecques ses brebiz et ung jeune filz menant la musette, et là apparut audit Moyses Nostre Seigneur en forme de feu du milieu d’ung buisson, et dira Notre Seigneur : Moyses, Moyses ; et Moyses respondra : Assum ;Item, sur la seconde montagne sera représenté Moïse avec ses brebis et son jeune fils avec sa musette ; c’est là qu’est apparu Notre Seigneur à Moïse sous la forme d’un feu au milieu d’un buisson et Notre Seigneur dira : « Moïse, Moïse », et Moïse répondra : « me voici ».
§ 21Item, de la part droite sera Purgatoire où les ames meneront joyes voyans que d’ilec s’en vont en Paradis, dont les deables meneront grand tristesse ;Item, sur la partie droite sera représenté le Purgatoire où les anges mèneront grande liesse et les diables grande tristesse de voir les âmes quitter le Purgatoire pour le Paradis.
§ 22Item, du cousté senestre sera Enfert, et entre Purgatoire et Enfert aura une montaigne, et de la part de Purgatoire au dessus de la montaigne aura ung ange reconfortant les ames du Purgatoire, et de la part d’Enfer aura un deable sur la montaigne très défiguré tornant le dos à l’ange et gettant certaines ames en Enfert, lesquelles lui auront baillées par autres deables ;Item, du côté gauche, sera l’Enfer, et entre le Purgatoire et l’Enfer il y aura une montagne, et au-dessus de cette montagne, il y aura un ange pour réconforter les âmes du Purgatoire ; et du côté de l’Enfer, il y aura un diable, sur la montagne désolée tournant le dos à l’ange et jetant en Enfer les âmes qui lui seront données par d’autres diables.
§ 23Item, en Purgatoire et en Enfer aura de tous estas, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand ;Item, en Purgatoire et en Enfer, il y aura tous les états du monde selon l’avis de maître Enguerrand.
§ 24Item, ledit retable doit estre fait tout à fines couleurs d’uille, et l’azur doit estre fin asur d’Accre, excepté cellui qu’on mettra en la bordure, lequel doit estre de fin asur d’Alamaigne, et l’or que y rentrera tant en la bordure comme entour le retable doit estre fin or et bruny ;Item, ce retable doit être entièrement fait de fines couleurs d’huile et l’azur doit être fait d’azur [bleu] de Saint-Jean-d’Acre, excepté celui que l’on mettra en bordure, lequel doit être de fin azur [bleu] d’Allemagne, et de l’or qui entrera dans la composition de la bordure et du pourtour du retable doit être d’or fin bruni.
§ 25Item, ledit maistre Enguerrant monstrera toute sa science en la Sainte Trinité et en la benoite Vierge Marie, et du demourant selon sa conscience ;Item, ledit maître Enguerrand montrera toute sa science dans le traitement de la Sainte Trinité et de la benoîte [bienheureuse] Vierge Marie et pour le reste, il fera selon sa conscience.
§ 26Item, le revers du retable sera peint d’ung fin drap de damas cremoisin tout figuré de fleurs de liz.Item, le dais du retable sera peint d’un fin drap de damas cramoisi tout constellé de fleurs de lys.
Promisit, inquam, idem magister Enguerandus hec facere et fideliter juxta premissam designationem a sancte Micaele proxime futuro in unum annum continuum proxime venientem pro precio centum viginti florenorum valore cujuslibet XXIIIIor solidorum monete Avinione currentis, in quorum diminucionem dictus pictor recognovit se habuisse ab eodem domino Johanne quadraginta florenos currentes, de quibus idem pictor tenuit se contentum, et inde dictum dominum Johannem quittavit. Pactum, etc… Exceptione, etc… Residuum autem dictus dominus Johannes promisit solvere eidem magistro Enguerrando ut sequitur, videlicet : viginti florenos quando idem pictor fecerit medium dicti operis ; item, quadraginta florenos secundum quod ipse operabit et pro rata ipsius operis ; et reliquos viginti florenos incontinenti dum dictum opus completum fuerit et positum in dicta ecclesia cartusiensi.
Et dictus Johannes promisit se curaturum erga dominos priorem et conventum cartusienses quod ipsi respondebunt dicto magistro Enguerando de hujusmodi summa restante in defectu ipsius domini Johannis. Et nichilominus sibi mutuo refundere expensis.
Pro quibus hincinde tenendis predicte partes sibi mutuo obligaverunt omnia et singula bona sua mobilia et immobilia presentia et futura, et se summiserunt viribus et carceribus curiarum Camere Apostolice et ejus Vicegerencie, spiritualis et temporalis Avinionensium. Et per pactum etc.
Et ita omnia et singula premissa tenere etc. Juraverunt etc. Renunciaverunt etc.
De quibus etc.
Actum in apotheca speciarie domus habitationis Johannis de Bria, speciatoris, civis Avinionensis, presentibus ipso Johanne et domino Guillelmo Guy, presbitero, canonico ecclesie Sancti Agricoli Avinionensis, testibus etc.
Et me lohanne Morell ; etc
.
Le maître Enguerrand a promis, dis-je, de s’acquitter de tout ceci fidèlement, selon la commande ci-contre, de la prochaine fête de Saint-Michel dans l’an à venir pour le prix de 120 florins, le florin valant 24 sous de la monnaie d’Avignon, monnaie courante ; ledit peintre a reconnu avoir reçu pour avance, à la commande du seigneur Jean, 40 florins courants, desquels le peintre s’est déclaré content et a tenu quitte le seigneur Jean. Il a été conclu etc. Avec la restriction que etc. Ledit seigneur Jean a promis qu’il paierait le reste à maître Enguerrand de la façon suivante : 20 florins lorsque le peintre aura achevé la moitié de l’œuvre, puis 40 florins ensuite selon l’avancement du travail, les 20 florins restants lorsque le travail serait complètement achevé et le tableau installé dans la dite église des Chartreux. Ledit Jean s’est engagé à s’employer à ce que le prieur et le couvent des Chartreux répondent eux-mêmes à l’égard de maître Enguerrand du paiement de la somme restante au cas où messire Jehan lui-même ferait défaut. Et tout au moins que chacun rentre dans ses frais.
Pour ces raisons, les deux parties en présence se sont engagées mutuellement, sur tous leurs biens personnels, mobiliers et immobiliers, présents et à venir, et se sont soumises aux cours de justice de la Chambre Apostolique et de sa Vice-gérance, autorités spirituelles et temporelles d’Avignon.
Et par cet accord etc. Ils ont prêté serment de etc. Ils ont renoncé à etc. Pour ces raisons etc. Qui en tient lieu etc.
Acte passé dans la boutique d’épicerie sise dans l’habitation de messire Jean de Bria, épicier, citoyen d’Avignon, en présence de Jehan lui-même et du seigneur Guillaume Guy, prêtre, chanoine de l’église Saint Agricol d’Avignon, témoins, etc.
Et devant moi, Jean Morel, etc.

Tous les commentateurs de l’œuvre, en premier lieu Charles Sterling [18]Charles Sterling (Varsovie, 1901 – Paris, 1991) : historien de l’art, conservateur au musée du Louvre de 1929 à 1961. Son sujet de prédilection porte sur la peinture française du XVe s., ont souligné le fait que le document du 24 avril 1453 (menu déroulant ci-dessus) est non seulement un document de première importance, mais un excellent guide pour lire l’image. [19]Sterling précise cependant « un point capital qui paraît échapper à certains interprètes : ce que nous possédons, c’est, comme le spécifie, le préambule latin (in quadram papiri cedula), un projet détaillé dans une cédule écrite sur papier, non un contrat définitif. D’où les nombreuses divergences entre le texte et la peinture […]. » « Le ton est donné dès le premier paragraphe », écrivent Selon Daniel Le Blévec et Alain Girard : « Premièrement y doit estre la forme de paradiz, et en ce paradiz doit estre la sainte trinité, et du père au filz ne doit avoir nulle différence, et lequel saint esprit en forme d’une colombe, et notre dame devant, selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand, à laquelle Notre Dame la Sainte Trinité mettra la couronne sur la teste ». D’un alinéa à l’autre, le texte en langue romane décrit le paradis avec ses multitudes d’anges, de saints et de saintes, les villes animées de Rome et de Jérusalem, séparées par le Christ en croix veillé par un priant chartreux ; le purgatoire et l’enfer forment un large linteau au bas de la composition. » [20]Daniel LE BLÉVEC et Alain GIRARD, « Le couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton. Nouvelle approche », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, De Boccard, 1991, pp. 103-126. La métaphore du linteau ne vaut que si l’on souscrit à l’hypothèse formulée par les auteurs, selon laquelle le schéma de composition de … Poursuivre

PARADIS : LE GROUPE CENTRAL
  • La Trinité couronnant la Vierge [21]« § 1. Premièrement y doit estre la forme de paradiz, et en ce paradiz doit estre la sainte trinité, et du père au filz ne doit avoir nulle difference, et le saint esperit en forme d’une columbe, et notre dame devant, selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand ; à laquelle Notre Dame la Sainte Trinité mettra la couronne sur la teste. »« § 3 Item, les … Poursuivre [22]Au moyen de ses ailes déployées, la colombe relie les lèvres du Père et du Fils. Ce détail ne doit évidemment rien au hasard. Dans le le Retable de Boulbon, œuvre de la même époque, et également avignonnaise, les ailes de la colombe du Saint-Esprit jouent un rôle identique dans la représentation de la Trinité , bien que le contexte iconographique soit très différent.
PARADIS : Le cousté de JEAN BAPTISTE

A gauche de la Trinité (du côté de Jean Baptiste), on observe la présence de [23]Le cas échéant, des extraits du prix-fait correspondant aux personnages et aux scènes représentés, ainsi que d’éventuels commentaires, figurent en lien avec les détails rapprochés de l’œuvre. :

  • Séraphins (rouges) et chérubins (bleus) [24]« §1 […] et alentour de la Sainte Trinité doivent estre cherubins et seraphins. »
  • Archange Michel et anges
  • Patriarches et prophètes
  • Saints
  • Un pape, un empereur, un roi, un cardinal (le sommet de la hiérarchie sociale)
  • Enfants morts après le baptême (admis de ce fait au Paradis)
PARADIS : Le cousté de Pierre

A droite de la Trinité (du côté de Pierre) on observe la présence de :

  • Séraphins (rouges) et chérubins (bleus)
  • Archange Gabriel et anges
  • Apôtres
  • Saints
  • Représentants des notables, des bourgeois et du peuple
  • Enfants morts après le baptême (admis de ce fait au Paradis)
  • Archange Michel [25]« § 3 […] et de l’autre cousté, Saint Michiel, aussi avec aucune quantité d’anges, selon qu’il semblera mieux audit maistre Enguerrand. », ange joueur d’orgue, ange thuriféraire [26]Enguerrand suit ici à la lettre l’incitation qui lui est faite (« selon qu’il semblera mieux audit maistre Enguerrand »).
  • Jean Baptiste [27]« § 4 Item, de l’autre part, Saint Jean Baptiste aux autres patriarches et prophètes, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. », Jérémie, David, suivis d’autres prophètes non identifiés
  • Les diacres Etienne et Laurent [28]§ 6 Item, cousté Saint Pierre doit estre ung pape martir auquel l’ange tiendra la tiare sur la teste, ensemble saint Estienne et saint Laurens en habit de dyacres cardinaulx […] ; plusieurs autres saints [29]« […]] avec aussi d’autres saints martirs a l’ordonnance dudit maistre. »
  • Les saints François, Dominique, Bernard, Augustin (?) [30]Ce groupe n’est pas mentionné dans le prix-fait du retable. C’est donc ici encore Enguerrand qui se donne libre cours.
  • Autres fondateurs d’ordres religieux [31]Ce groupe n’est pas mentionné dans le prix-fait du retable (voir également note précédente).
  • Les représentants de la hiérarchie sociale :
    • un pape (tiare), un empereur (couronne fermée), un roi (couronne ouverte), un cardinal (galero) [32]« § 10 Item, doit avoir en paradis dessudit de tous estas du monde à l’ordonnance dudit mestre Enguerrand. »
  • Les enfants innocents morts après le baptême, admis au Paradis
  • Archange Gabriel [33]« § 3 Item, du cousté de Notre Dame doit estre l’ange Gabriel avec certaine quantités d’anges […]. », ange joueur de harpe, ange soufflant dans un encensoir [34]Voir note 17.
  • Pierre et Paul [35]« Item, du cousté droit doivent estre Saint Pierre et Saint Pol avec certaine quantité d’autres apostres. », Jean, suivis d’autres apôtres non identifiés
  • Grégoire, pape, Agricol [36]Agricol (…, entre 627 et 630 (?) – Avignon (?), v. 700) : saint moine bénédictin (il porte le manteau noir de l’Ordre), évêque et Patron d’Avignon. et Hugues [37]Hugues II de Combarel (1380 – 1440) : évêque de Poitiers, puis de Béziers de 1422 à 1424, date à laquelle il fut transféré à l’évêché de Poitiers, qu’il occupa jusqu’à sa mort. C’est lui qui fut chargé par Charles VII d’interroger Jeanne d’Arc sur sa mission. Dans l’œuvre, il porte l’habit blanc des Chartreux sous son manteau., évêques, et deux cardinaux [38]« § 7 Item, du cousté Saint lehan Baptiste seront les confesseurs c’est assavoir saint Grégoire en la forme d’un pape comme dessus, avec deux saints cardinaulx, ung vieil et ung jeune, et saint Agricol et saint Hugue evesques, saint Hugue en habit de chartreux […]. » ; saints évêques [39]« […] et autres sains selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. » La position de ce groupe est inversée par rapport à Jean Baptiste
  • Les saintes Catherine (vue de profil) [40]« § 8 Item, du cousté saint Pierre doit estre sainte Caterine avec certaines autres vierges selon l’adviz dudit maistre Enguerrad. », Marie Jacobé, Salomé, Marie Madeleine [41]« § 9 Item, la part saint Jehan Bapitiste la Magdelene et les deux Maries Jacoli [Marie Jacobé] et Salome [Salomé], chacune d’icelles tenant ès mains ce que tenir y doit […]. »
  • Autres saintes [42]« […] ensemble autres vefves selon adviz dudit maistre Enquerrand. »
  • Les représentants de la population :
    • des notables, des bourgeois, le petit peuple [43]Voir note 24., tous portent autour de la tête le nimbe doré des bienheureux
  • Les enfants innocents morts après le baptême, admis au Paradis
Sous le Paradis, « le monde »
  • Le ciel [44]« § 11 Item, dessus ledit paradiz doit estre le chiel auquel sera le soleil et la lune selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. » Enguerrand n’a pas cru bon de placer le Soleil et la Lune dans le ciel, mais montre comment des anges emportent les âmes au Paradis, parfois au prix d’une lutte avec des démons qui veulent les en empêcher.
  • La mer [45]« § 16 Item, au partir de Romme se doit monstrer le Timbre [le Tibre] entrant en la mer, et en la mer aura certaine quantité de galées et navires. »
  • Deux villes : Rome et Jérusalem
  • A gauche, les Limbes et le Purgatoire
  • À droite, l’Enfer [46]« § 22 Item, du cousté senestre [comprendre : à gauche du Christ et non à gauche du tableau] sera Enfert, et entre Purgatoire et Enfert aura une montaigne, et de la part de Purgatoire au dessus de la montaigne aura ung ange reconfortant les ames du Purgatoire, et de la part d’Enfer aura un deable sur la montaigne très défiguré tornant le dos à l’ange et gettant certaines ames en … Poursuivre
  • Au centre, la haute croix du Christ [47]« § 17 Item, outre la mer sera une partie de Iherusalem : premièrement, le mont olivet où sera la Croix Nostre Seigneur et au pié d’icelle aura un priant chartreux, et un poy loing sera là le monument Nostre Seigneur et ung ange dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum. » La croix établit visuellement le lien entre « le monde » et le Paradis.
  • Un chartreux prie au pied de la croix
  • A droite, un priant est agenouillé devant le sarcophage gris du Christ
  • La tombe de la Vierge, de couleur rose, et deux personnages en oraison sur cette tombe
  • Vue de Rome [48]« § 13 Item, du costé du soleil couchant doit estre la forme de l’église Saint Pierre de Romme, et devant ladicte eglise a l’issue a une pome de ping de cuivre, et d’ilec on descend par grans degrez en une grande place tirant au pont Sainte Ange. »  « § 14 Item, du cousté senestre de ladicte place a une partie de la muraille de Romme, et de l’autre cousté sont … Poursuivre
  • Buisson ardent et Messe de Saint Grégoire
  • Limbes des enfants
  • Purgatoire (un ange invite un pape élu à monter au Paradis)
  • A l’arrière-plan, la montagne Sainte-Victoire
  • Vue de Jérusalem [49]« § 17 Item, outre la mer sera une partie de Iherusalem : premièrement, le mont olivet où sera la Croix Nostre Seigneur et au pié d’icelle aura un priant chartreux, et un poy loing sera là le monument Nostre Seigneur et ung ange dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum. » ((« [Qui dicit illis : Nolite expavescere : Jesum quæritis Nazarenum, … Poursuivre
  • Sépulcre gris du Christ [50]« § 18 Item, au pied du tombeau, seront deux personnages en prière […]. »
  • Tombeau rose de la Vierge, veillé par un ange
  • Au second plan, le Temple de Salomon, en rouge
  • Enfer (un diable empêche un damné de s’enfuir)
  • À l’arrière-plan, le Mont Ventoux
  • Les Limbes, en bordure de l’Enfer, dans lequel les enfants morts hors baptême attendent le Jugement Dernier [51]« Au-dessous de l’épisode du Buisson ardent, Quarton a peint un sujet que le prix-fait ne mentionne point : des enfants morts avant d’être baptisés. Innocents, ils ne sont cependant pas admis parmi les élus. Leurs paupières sont baissées, le baptême n’a pas ouvert leurs yeux. Leurs chairs sont grisâtres au lieu de resplendir de clarté céleste comme les corps des … Poursuivre
  • Rome
  • Le Purgatoire [52]« § 21 Item, sur la partie droite sera représenté le Purgatoire où les anges mèneront grande liesse et les diables grande tristesse de voir les âmes quitter le Purgatoire pour le Paradis. »
    « § 23 Item, en Purgatoire et en Enfer aura de tous estas, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
  • Un ange, un pape, deux cardinaux, un prêtre [53]Ce prêtre sauvé des flammes par un ange semble être le Jean de Montagnac, donateur du retable et signataire du prix-fait.
  • Jérusalem [54]« La ‘ville de Jérusalem’ est nettement inspirée de Villeneuve-lès-Avignon. » (Charles STERLING, op. cit.. p. 59).
  • Un chartreux en prière au pied de la croix
  • Guillaume de Montjoie en prière [55]Guillaume de Montjoie (mort le 3 avril 1451) : évêque de Verdun de 1423 à 1424, puis évêque de Béziers de 1424 à 1451.
  • L’Enfer [56]« § 23 Item, en Purgatoire et en Enfer aura de tous estas, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
  • Moïse devant le Buisson ardent [57](« Item, en la seconde montaigne sera Moyses avecques ses brebiz et ung jeune filz menant la musette, et là apparut audit Moyses Nostre Seigneur en forme de feu du milieu d’ung buisson, et dira Notre Seigneur : Moyses, Moyses ; et Moyses respondra : Assum. » Sterling note que « la scène du Buisson ardent, située par le prix-fait, comme il convient, sur la montagne … Poursuivre
  • La Messe de Saint Grégoire dans l’église Sainte-Croix-de-Jérusalem [58]« § 15 Item, en ladicte cité a beaucoup d’eglises, en les-quelles est l’eglise Sainte Croix de Jherusalem, où sainct Gregoire célébra et lui apparut Notre Seigneur en forme de pitié, en laquelle église sera painte l’istoire selon l’ordonnance dudit maistre Enguerrat, en laquelle ystoire sera saint Hugue chartreux assistant audit saint Gregoire avec autres prelatz selon … Poursuivre [59]« […] intéressante, car concraire à l’indication du prix-fait, est la proximité immédiate de cette église romaine de l’épisode du Buisson Ardent, dûment situé par le contrat du côté oppose, en Terre sainte. Ce sont de profondes considérations d’ordre théologique et iconographique qui décidèrent le donateur à enfreindre l’ordre géographique. En … Poursuivre
  • Un pâtre (un « jeune fitz » de Moïse « tenant musette »), ses moutons et un chien couché aux pieds de Moïse
  • La tombe de la Vierge veillée par un ange
  • Jean de Montagnac, le donateur et un chevalier en prière devant le tombeau [60]§ 18 Item, au pié du monument seront deux prians : du cousté droit la valee de Josaphat entre deux montaignes, en laquelle valee a une eglise où est le monument de Nostre Dame et ung ange dessus en disant : Assumpta est Maria ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio ; et au pié d’icellui monument, ung priant. » A propos de l’inscription, voir note 7., probablement son frère Antoine de Montagnac [61]Antoine de Montagnac, damoiseau, seigneur de Bresson et de Serres, est vêtu du cotte aux couleurs de ses armes, jaune et rouge. Voir STERLING, op. cit. p. 63.
  • Le Temple de Salomon
UNE COMPOSITION ÉLOQUENTE

Jean Arrouye, dans un article consacré au Couronnement [62]Jean ARROUYE, « Cercles de famille », dans Les relations de parenté dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1989, pp. 411-424., conclut en observant que les schémas de composition du retable qu’il vient d’utiliser dans sa démonstration [63]Ces dessins sont dus à Jean-Baptiste Hémery., sont « si démonstratifs [qu’ils] valent un long discours, et beaucoup davantage ». Quitte à ne pas prendre Arrouye tout-à-fait au pied de la lettre, il convient de formuler en quelques mots la manière dont Enguerrand conçoit la composition de son Couronnement, fondée sur une géométrie rigoureuse entièrement mise au service du sens général de l’œuvre, et dans laquelle le cercle a la part belle (l’auteur, non sans humour, parle des « cercles de famille »).

  • Les figures parfaitement symétriques (« du père au filz ne doit avoir nulle différence ») du Père et du Fils [64]Le fils est placé à gauche de l’image, de telle sorte que, dans l’espace de l’œuvre, il soit bien assis à droite du Père. s’inscrivent dans deux cercles ; l’intersection de ces deux cercles sur l’axe central du format rectangulaire forme une mandorle.
  • Dans cette mandorle, s’inscrit la figure de Marie, à qui la Trinité (le Saint Esprit sous la forme d’une colombe) pose la couronne royale sur le front ; le groupe formé par Marie et la Trinité s’inscrit à son tour dans un cercle dont le diamètre est supérieur à celui des deux précédents. [65]L’intégration de la Vierge dans l’espace géométrique réservé à la Trinité est pleine de sens.
  • Au-dessous, la Terre (le « monde ») forme un arc de cercle plus grand encore que les trois précédents, et créé une intersection avec le cercle incluant la Trinité et la Vierge Marie.
  • La croix du christ s’élève sur l’axe de symétrie de l’œuvre et fait visuellement le lien entre les sphères céleste et terrestre ; au dessus du cercle de la Trinité, les deux archanges penchent la tête et leurs ailes suivent l’arrondi du cercle.

La rigoureuse composition géométrique du retable contribue très efficacement à créer l’image de la divinité trinitaire, ainsi qu’à illustrer l’intégration à celle-ci de la Vierge. Mais l’œuvre « est aussi tableau d’histoire terrestre, de celle de Marie, mère de Jésus. Sur la gauche du panneau le Buisson ardent, préfigure de l’Annonciation, rappelle l’épisode initial de l’aventure du rachat de l’humanité. A droite, en pendant, le tombeau de la Vierge en marque le terme historique ; à proximité du tombeau se dresse le saint sépulcre, mémorial du sacrifice du Christ, tandis qu’auprès du buisson s’élève l’église où il vint par sa miraculeuse apparition confirmer au pape Grégoire l’efficace de la commémoration eucharistique de son sacrifice, dont le sens est figuré par le crucifix démesuré dressé au centre du monde, qui, s’élevant vers le ciel paradisiaque, mène à la Vierge, radieuse médiatrice. » [66]Jean ARROUYE, « Cercles de famille », dans Les relations de parenté dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1989, pp. 411-424.

Considéré comme le meilleur connaisseur de la peinture française du XVe siècle, Charles Sterling a bien montré que le peintre tirait « l’esthétique linéaire et l’ordonnance verticale et plane du nord de la France », son pays d’origine. En témoignent le parti de frontalité des lignes centrales, l’absence de profondeur et le goût des larges arabesques. « Enguerrand Quarton a aussi été sensible à l’art de l’Avignon pontificale. Il a été attentif aux œuvres de Simone Martini et de Matteo Giovannetti. [67]Matteo Giovanetti (documenté de 1322 à 1369) : peintre formé à l’école de Simone Martini, principalement actif en Avignon. Il travaille à la cour pontificale d’Avignon dès 1336, puis à Rome au Vatican sous Urbain VI (1367). Au Palais des Papes d’Avignon, assisté d’un groupe de compagnons, il exécute les fresques de la chapelle de Saint Jean (1344-45), celle de … Poursuivre Les deux Christ en croix peints par Giovanetti à Avignon (chapelle Saint-Martial du Palais des Papes et chapelle du Tinel de la Chartreuse de Villeneuve) ont été la source d’inspiration de celui que l’on voit dans le Couronnement de la Vierge.

Rôle de la couleur

Au début du XX s., le peintre Maurice Denis [68]En 1906 Maurice Denis visite Villeneuve-lès-Avignon, la chartreuse, la tour et le « musée humide ». Très sensible à l’art religieux, il travaille à cette occasion sur un petit format de 27 x 22 cm, rapidement, et note avec précision les différentes couleurs du tableau (au XVe s., la couleur des vêtements était signe de richesse), les formes et les équilibres révélant l’art … Poursuivre, découvrant le chef-d’œuvre d’Enguerrand Quarton, en fait sur place une esquisse dans laquelle il note avec une étonnante précision l’équilibre des groupes du Paradis autour de la majestueuse Trinité couronnant la Vierge, les rapports harmoniques des bleus, des rouges et des ors qui transcrivent fidèlement l’éclat du tableau. Les roses resplendissants, identifiés aujourd’hui comme couleur du miracle, complètent l’étude chromatique. Le commentaire de l’œuvre se poursuit dans une description – celle-ci est traitée dans une pâte épaisse et onctueuse -, qui met en valeur l’ordonnance des différents plans unifiés par la lumière.

Maurice Denis, « Le Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton », 1906. Huile sur carton, 27 x 22 cm. Villeneuve-lès-Avignon, musée Pierre de Luxembourg.

L’époque est marquée par deux événements dont l’enjeu politique ne doit pas faire minimiser la portée symbolique. Le premier fut la réunion des églises d’Orient et d’Occident à l’issue du Concile de Florence, en 1439 [69]L’enjeu dogmatique du Concile était le filioque, « ce point disputé de la théologie trinitaire dont l’élaboration avait été conduite à son terme par les docteurs occidentaux. […] L’unité de l’Eglise, tant menacée par le grand schisme d’Occident, semblait enfin trouvée. » (Jacques SIMONNET, « Enguerrand Quarton et Jean de Montagnac. Réflexion … Poursuivre. Le second fut l’acceptation solennelle de l’Immaculée Conception par le Concile de Bâle. [70]La Mère du Christ était présentée à la foi des croyants non seulement comme Mère de Dieu et toute sainte, mais comme une créature exceptionnelle, préservée des souillures du péché originel, nouvelle Ève d’une nouvelle humanité spirituelle, médiatrice entre les hommes et Dieu Trine dont elle avait mis au monde le Fils.[…] Le mouvement qui dans le christianisme avait … Poursuivre « Le renforcement de la pensée trinitaire rendait plus lointaine la notion de filiation divine et libérait une exigence de recours maternel, s’élevant bien au-delà de l’intercession privée des saints. Ibid

Retable de Boulbon [71]François BOESPFLUG (dir.), La Trinité dans l’art d’Occident (1400-1460). Sept chefs-d’œuvre de la peinture, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, pp. 151-170.

Notes

Notes
1 Dans l’acte de 1452, Enguerrand précise lui-même le lieu de sa naissance non pas à Laon même, mais dans le diocèse de cette ville du nord de la France.
2 Selon l’article 24 du prix-fait (voir plus bas), l’œuvre devait être peinte de fines couleurs d’huile. Enguerrand Quarton a cependant utilisé la technique de la détrempe à l’œuf.
3 Dans la peinture siennoise, nous sommes accoutumés à voir inscrites sur des phylactères les paroles prononcées par les personnages. Ici, sauf exception, elles semblent sortir directement de la bouche de ceux-ci.
4 « [Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit :] Moïse ! Moïse ! » (Ex 3, 4).
5 « Le Tombeau de Notre Seigneur. »
6 « Monument [Tombeau] de la Bienheureuse Marie. »
7 « Assumpta est Maria [ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio] »(« La Vierge Marie a été emmenée dans une chambre céleste  où le Roi des rois est assis sur un trône étoilé »). Offertoire pour l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, René-Jean Hesbert, Corpus antiphonalium Officii, n° 3707.
8 Évangile selon Luc (1, 28).
9 Il s’agit de la chapelle située à droite du chœur, où se trouve encore le tombeau du pape Innocent VI, fondateur de la chartreuse.
10 Chanoine REQUIN, « Documents inédits sur les peintres, peintres-verriers et enlumineurs d’Avignon au quinzième siècle », dans Réunion des sociétés des beaux-arts, du 11 au 15 juin 1889, 13e session, typographie de E. Plon, Nourrit & Cie, Paris, 1889, p. 118-217, mise en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206208p/f121.item
11 La rédaction de ce type de document, visant à contractualiser la commande d’une œuvre d’art, était commune à cette époque. Ce qui est exceptionnel dans le cas du Couronnement de la Vierge, c’est la longueur extrême du texte et l’étonnante précision des détails fournis à (et par) l’artiste du point de vue iconographique. En 1889, la découverte du document a permis de révéler avec certitude le nom du peintre dont l’œuvre faisait l’objet, à l’époque, d’attributions les plus diverses.
12 « Le sujet est minutieusement, précisé, mais cette mise en forme est réservée à l’artiste. Le thème principal est le couronnement de la vierge par la Sainte Trinité. Toute la cour, Céleste doit l’accompagner, les anges, les apôtres, les prophètes, les saints et les élus de toutes condition. Plus bas sera « le monde » où l’on verra les villes de Rome et de Jérusalem, chacune avec plusieurs de ses monuments, reliés par la mer. Enfin, seront représentés le Purgatoire et l’Enfer.
Ce vaste programme iconographique été rédigé dans une cédule ((Cédule : écrit par lequel une personne prend un engagement, reconnaît une dette.
13 Charles STERLING, Enguerrand QuartonLe peintre de la « Pieta » d’Avignon, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1983, p. 37.
14 Archives départementales de Vaucluse, Avignon, Protocole du notaire Jean Morelli. Fonds de Me Giraud-Martin. Registre 805, fds 48-51. 1453, 24 avril.
15 « Il est ressuscité, il n’est plus ici, voici le lieu ou ils l’on déposé » (Mc 16, 6).
16 « Marie est montée au séjour céleste où le Roi des Rois siège sur un parterre d’étoiles » Offertoire pour l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie (15 août). René-Jean Hesbert, Corpus antiphonalium Officii, nr. 1503
17 « Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne chasse pas ton serviteur, assieds-toi et j’apporterai un peu d’eau pour laver tes pieds » (Gn 18,3-4).
18 Charles Sterling (Varsovie, 1901 – Paris, 1991) : historien de l’art, conservateur au musée du Louvre de 1929 à 1961. Son sujet de prédilection porte sur la peinture française du XVe s.
19 Sterling précise cependant « un point capital qui paraît échapper à certains interprètes : ce que nous possédons, c’est, comme le spécifie, le préambule latin (in quadram papiri cedula), un projet détaillé dans une cédule écrite sur papier, non un contrat définitif. D’où les nombreuses divergences entre le texte et la peinture […]. »
20 Daniel LE BLÉVEC et Alain GIRARD, « Le couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton. Nouvelle approche », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, De Boccard, 1991, pp. 103-126. La métaphore du linteau ne vaut que si l’on souscrit à l’hypothèse formulée par les auteurs, selon laquelle le schéma de composition de l’œuvre évoquerait la structure d’un tympan gothique.
21 « § 1. Premièrement y doit estre la forme de paradiz, et en ce paradiz doit estre la sainte trinité, et du père au filz ne doit avoir nulle difference, et le saint esperit en forme d’une columbe, et notre dame devant, selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand ; à laquelle Notre Dame la Sainte Trinité mettra la couronne sur la teste. »
« § 3 Item, les vêtements doivent être riches ; celui de Notre Dame devra être de drap en damas blanc représenté en suivant l’avis de Maître Enguerand […] » (Maître Enguerrand tranchera finalement en faveur d’un somptueux tissus d’or damassé de rouge, plus conforme à l’idée de richesse jugée digne des personnages de haut rang).
« § 25 Item, ledit maistre Enguerrant monstrera toute sa science en la Sainte Trinité et en la benoite Vierge Marie, et du demourant selon sa conscience.»
22 Au moyen de ses ailes déployées, la colombe relie les lèvres du Père et du Fils. Ce détail ne doit évidemment rien au hasard. Dans le le Retable de Boulbon, œuvre de la même époque, et également avignonnaise, les ailes de la colombe du Saint-Esprit jouent un rôle identique dans la représentation de la Trinité , bien que le contexte iconographique soit très différent.
23 Le cas échéant, des extraits du prix-fait correspondant aux personnages et aux scènes représentés, ainsi que d’éventuels commentaires, figurent en lien avec les détails rapprochés de l’œuvre.
24 « §1 […] et alentour de la Sainte Trinité doivent estre cherubins et seraphins. »
25 « § 3 […] et de l’autre cousté, Saint Michiel, aussi avec aucune quantité d’anges, selon qu’il semblera mieux audit maistre Enguerrand. »
26 Enguerrand suit ici à la lettre l’incitation qui lui est faite (« selon qu’il semblera mieux audit maistre Enguerrand »).
27 « § 4 Item, de l’autre part, Saint Jean Baptiste aux autres patriarches et prophètes, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
28 § 6 Item, cousté Saint Pierre doit estre ung pape martir auquel l’ange tiendra la tiare sur la teste, ensemble saint Estienne et saint Laurens en habit de dyacres cardinaulx […]
29 « […]] avec aussi d’autres saints martirs a l’ordonnance dudit maistre. »
30 Ce groupe n’est pas mentionné dans le prix-fait du retable. C’est donc ici encore Enguerrand qui se donne libre cours.
31 Ce groupe n’est pas mentionné dans le prix-fait du retable (voir également note précédente).
32 « § 10 Item, doit avoir en paradis dessudit de tous estas du monde à l’ordonnance dudit mestre Enguerrand. »
33 « § 3 Item, du cousté de Notre Dame doit estre l’ange Gabriel avec certaine quantités d’anges […]. »
34 Voir note 17.
35 « Item, du cousté droit doivent estre Saint Pierre et Saint Pol avec certaine quantité d’autres apostres. »
36 Agricol (…, entre 627 et 630 (?) – Avignon (?), v. 700) : saint moine bénédictin (il porte le manteau noir de l’Ordre), évêque et Patron d’Avignon.
37 Hugues II de Combarel (1380 – 1440) : évêque de Poitiers, puis de Béziers de 1422 à 1424, date à laquelle il fut transféré à l’évêché de Poitiers, qu’il occupa jusqu’à sa mort. C’est lui qui fut chargé par Charles VII d’interroger Jeanne d’Arc sur sa mission. Dans l’œuvre, il porte l’habit blanc des Chartreux sous son manteau.
38 « § 7 Item, du cousté Saint lehan Baptiste seront les confesseurs c’est assavoir saint Grégoire en la forme d’un pape comme dessus, avec deux saints cardinaulx, ung vieil et ung jeune, et saint Agricol et saint Hugue evesques, saint Hugue en habit de chartreux […]. »
39 « […] et autres sains selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. » La position de ce groupe est inversée par rapport à Jean Baptiste
40 « § 8 Item, du cousté saint Pierre doit estre sainte Caterine avec certaines autres vierges selon l’adviz dudit maistre Enguerrad. »
41 « § 9 Item, la part saint Jehan Bapitiste la Magdelene et les deux Maries Jacoli [Marie Jacobé] et Salome [Salomé], chacune d’icelles tenant ès mains ce que tenir y doit […]. »
42 « […] ensemble autres vefves selon adviz dudit maistre Enquerrand. »
43 Voir note 24.
44 « § 11 Item, dessus ledit paradiz doit estre le chiel auquel sera le soleil et la lune selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. » Enguerrand n’a pas cru bon de placer le Soleil et la Lune dans le ciel, mais montre comment des anges emportent les âmes au Paradis, parfois au prix d’une lutte avec des démons qui veulent les en empêcher.
45 « § 16 Item, au partir de Romme se doit monstrer le Timbre [le Tibre] entrant en la mer, et en la mer aura certaine quantité de galées et navires. »
46 « § 22 Item, du cousté senestre [comprendre : à gauche du Christ et non à gauche du tableau] sera Enfert, et entre Purgatoire et Enfert aura une montaigne, et de la part de Purgatoire au dessus de la montaigne aura ung ange reconfortant les ames du Purgatoire, et de la part d’Enfer aura un deable sur la montaigne très défiguré tornant le dos à l’ange et gettant certaines ames en Enfert, lesquelles lui auront baillées par autres deables. »
47 « § 17 Item, outre la mer sera une partie de Iherusalem : premièrement, le mont olivet où sera la Croix Nostre Seigneur et au pié d’icelle aura un priant chartreux, et un poy loing sera là le monument Nostre Seigneur et ung ange dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum. » La croix établit visuellement le lien entre « le monde » et le Paradis.
48 « § 13 Item, du costé du soleil couchant doit estre la forme de l’église Saint Pierre de Romme, et devant ladicte eglise a l’issue a une pome de ping de cuivre, et d’ilec on descend par grans degrez en une grande place tirant au pont Sainte Ange. »  
« § 14 Item, du cousté senestre de ladicte place a une partie de la muraille de Romme, et de l’autre cousté sont maisons et boutiques de toutes manières de gens ; au bout de ladicte place est le castel Saint Ange et ung pont sur le Timbre qui tire en ladicte cité de Romme. »
49 « § 17 Item, outre la mer sera une partie de Iherusalem : premièrement, le mont olivet où sera la Croix Nostre Seigneur et au pié d’icelle aura un priant chartreux, et un poy loing sera là le monument Nostre Seigneur et ung ange dessus disant : Surexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum. » ((« [Qui dicit illis : Nolite expavescere : Jesum quæritis Nazarenum, crucifixum :] surrexit, non est hic, ecce locus ubi posuerunt eum (« Il leur dit : Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié ; il est ressuscité, il n’est point ici ; voici le lieu où on l’avait mis. ») Mc 16, 6.
50 « § 18 Item, au pied du tombeau, seront deux personnages en prière […]. »
51 « Au-dessous de l’épisode du Buisson ardent, Quarton a peint un sujet que le prix-fait ne mentionne point : des enfants morts avant d’être baptisés. Innocents, ils ne sont cependant pas admis parmi les élus. Leurs paupières sont baissées, le baptême n’a pas ouvert leurs yeux. Leurs chairs sont grisâtres au lieu de resplendir de clarté céleste comme les corps des enfants morts baptisés (que le prix-fait ne mentionne d’ailleurs pas non plus). Leur séjour sont les limbes, figurés ici sous l’aspect d’une grotte rocheuse remplie d’une pénombre éternelle, trouble et triste, et située près du Purgatoire. »(Charles STERLING, op. cit. p. 67.).
52 « § 21 Item, sur la partie droite sera représenté le Purgatoire où les anges mèneront grande liesse et les diables grande tristesse de voir les âmes quitter le Purgatoire pour le Paradis. »
« § 23 Item, en Purgatoire et en Enfer aura de tous estas, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
53 Ce prêtre sauvé des flammes par un ange semble être le Jean de Montagnac, donateur du retable et signataire du prix-fait.
54 « La ‘ville de Jérusalem’ est nettement inspirée de Villeneuve-lès-Avignon. » (Charles STERLING, op. cit.. p. 59).
55 Guillaume de Montjoie (mort le 3 avril 1451) : évêque de Verdun de 1423 à 1424, puis évêque de Béziers de 1424 à 1451.
56 « § 23 Item, en Purgatoire et en Enfer aura de tous estas, selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
57 (« Item, en la seconde montaigne sera Moyses avecques ses brebiz et ung jeune filz menant la musette, et là apparut audit Moyses Nostre Seigneur en forme de feu du milieu d’ung buisson, et dira Notre Seigneur : Moyses, Moyses ; et Moyses respondra : Assum. » Sterling note que « la scène du Buisson ardent, située par le prix-fait, comme il convient, sur la montagne d’Horeb, du même côté que Jérusalem, apparaît dans la peinture du côté opposé, au voisinage immédiat de l’église romaine de Sainte-Croix de Jérusalem. Nous avons indiqué les raisons de ce changement. Selon le texte de la Bible et une séculaire tradition iconographique, Moise est nu-pieds pour ne pas fouler irrespectueusement le sol sanctifié par la présence divine ; ses chaussures noires sont fort sagement rangées auprès de lui. Il est vêtu de noir et de façon assez particulière, en homme de condition, en prospère propriétaire de troupeaux (gendre de Jéthro, prêtre de Madiân) et, au lieu d’une houlette, il tient une lance. Le « jeune filz menant la musette » est, par contre, un authentique berger. Le chien est couché aux pieds de Moïse, maigre et velu, la gueule ouverte. La réponse de Moïse a été omise par le peintre. » Charles STERLING, op. cit. pp. 67-68. Remarque : « Essum » (« me voici »), est la réponse de Moïse à l’appel de Dieu telle que l’on peut la lire dans l’Exode, chap. 3).
58 « § 15 Item, en ladicte cité a beaucoup d’eglises, en les-quelles est l’eglise Sainte Croix de Jherusalem, où sainct Gregoire célébra et lui apparut Notre Seigneur en forme de pitié, en laquelle église sera painte l’istoire selon l’ordonnance dudit maistre Enguerrat, en laquelle ystoire sera saint Hugue chartreux assistant audit saint Gregoire avec autres prelatz selon l’adviz dudit maistre Enguerrand. »
59 « […] intéressante, car concraire à l’indication du prix-fait, est la proximité immédiate de cette église romaine de l’épisode du Buisson Ardent, dûment situé par le contrat du côté oppose, en Terre sainte. Ce sont de profondes considérations d’ordre théologique et iconographique qui décidèrent le donateur à enfreindre l’ordre géographique. En effet, dans le retable, les deux apparitions miraculeuses, celle du Dieu de la Bible et celle du Christ à saint Grégoire, se répondent typologiquement, et les flammes qui ne consument pas le Buisson Ardent voisinent avec les flammes du Purgatoire qui purifient les âmes sans les détruire » note Sterling.
60 § 18 Item, au pié du monument seront deux prians : du cousté droit la valee de Josaphat entre deux montaignes, en laquelle valee a une eglise où est le monument de Nostre Dame et ung ange dessus en disant : Assumpta est Maria ad ethereum thalamum in quo Rex Regum stellato sedet solio ; et au pié d’icellui monument, ung priant. » A propos de l’inscription, voir note 7.
61 Antoine de Montagnac, damoiseau, seigneur de Bresson et de Serres, est vêtu du cotte aux couleurs de ses armes, jaune et rouge. Voir STERLING, op. cit. p. 63.
62 Jean ARROUYE, « Cercles de famille », dans Les relations de parenté dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1989, pp. 411-424.
63 Ces dessins sont dus à Jean-Baptiste Hémery.
64 Le fils est placé à gauche de l’image, de telle sorte que, dans l’espace de l’œuvre, il soit bien assis à droite du Père.
65 L’intégration de la Vierge dans l’espace géométrique réservé à la Trinité est pleine de sens.
66 Jean ARROUYE, « Cercles de famille », dans Les relations de parenté dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1989, pp. 411-424.
67 Matteo Giovanetti (documenté de 1322 à 1369) : peintre formé à l’école de Simone Martini, principalement actif en Avignon. Il travaille à la cour pontificale d’Avignon dès 1336, puis à Rome au Vatican sous Urbain VI (1367). Au Palais des Papes d’Avignon, assisté d’un groupe de compagnons, il exécute les fresques de la chapelle de Saint Jean (1344-45), celle de Saint Martial (1348) et celles de la Salle « des Grandes Audiences » (vers 1353), partiellement conservés, ainsi que les Prophètes de la chapelle de la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon (1355). Son œuvre révèle une empreinte stylistique clairement dérivée de Simone Martini. Matteo Giovannetti fut ami de Francesco Petrarca.
68 En 1906 Maurice Denis visite Villeneuve-lès-Avignon, la chartreuse, la tour et le « musée humide ». Très sensible à l’art religieux, il travaille à cette occasion sur un petit format de 27 x 22 cm, rapidement, et note avec précision les différentes couleurs du tableau (au XVe s., la couleur des vêtements était signe de richesse), les formes et les équilibres révélant l’art religieux du retable d’Enguerrand Quarton.
69 L’enjeu dogmatique du Concile était le filioque, « ce point disputé de la théologie trinitaire dont l’élaboration avait été conduite à son terme par les docteurs occidentaux. […] L’unité de l’Eglise, tant menacée par le grand schisme d’Occident, semblait enfin trouvée. » (Jacques SIMONNET, « Enguerrand Quarton et Jean de Montagnac. Réflexion sur la genèse de la Pieta d’Avignon », dans Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, Année 1986, 66-3, pp. 261-275).
70 La Mère du Christ était présentée à la foi des croyants non seulement comme Mère de Dieu et toute sainte, mais comme une créature exceptionnelle, préservée des souillures du péché originel, nouvelle Ève d’une nouvelle humanité spirituelle, médiatrice entre les hommes et Dieu Trine dont elle avait mis au monde le Fils.
[…] Le mouvement qui dans le christianisme avait rapproché l’homme et Dieu par l’intermédiaire de la théologie de l’Incarnation du Fils et du don de l’Esprit qui divinise l’homme, parvient ici à un ultime développement portant d’ailleurs en germe les futures ruptures dogmatiques. Ce qui pourrait être appelé la première version de la théologie trinitaire, la procession de l’Esprit du Père par le Fils, englobait en quelque sorte le mouvement de la création et de la rédemption de l’homme, dans le sein même des échanges divins. L’évolution de la théologie latine, jusqu’à l’élaboration définitive qu’en donne saint Thomas d’Aquin, décrit l’échange des personnes divines dans l’accomplissement parfait de l’intelligence et de la volonté, faisant de Dieu l’exemplaire et l’origine de toute créature. Il y a, dans cette parfaite élaboration intellectuelle, comme un phénomène de rebond. Dieu apparaît comme se refermant sur lui-même, plus centre du monde que l’enveloppant. Apparaît ainsi une sorte de nécessité d’une nouvelle médiation entre l’homme et Dieu et c’est tout naturellement, dans la logique de l’humanisme chrétien, que progressivement le personnage de la Vierge Marie est investi de cette fonction tant dans la sensibilité religieuse que dans l’élaboration théologique. » Ibid.
71 François BOESPFLUG (dir.), La Trinité dans l’art d’Occident (1400-1460). Sept chefs-d’œuvre de la peinture, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, pp. 151-170.

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